.Textos.......Textos de san Luis María Grignion de Montfort .......INDEX.
Saint Louis-Marie Grignion de Monfort
Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge
«PREPARATION
AU REGNE DE JESUS-CHRIST»
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[I. «NECESSITE
QUE NOUS AVONS DE LA DEVOTION
A LA TRES-SAINTE
VIERGE»]
[A. NECESSITE DE LA DEVOTION A MARIE]
1. C'est par la Très Sainte Vierge Marie que Jésus-Christ est venu au monde, et c'est aussi par elle qu'il doit régner dans le monde.
2. Marie a été très cachée dans sa vie: c'est pourquoi elle est appelée par le Saint-Esprit et l'Eglise Alma Mater: Mère cachée et secrète. Son humilité a été si profonde qu'elle n'a point eu sur la terre d'attrait plus puissant et plus continuel que de se cacher à elle-même et à toute créature, pour n'être conne que de Dieu seul.
3. Dieu, pour l'exaucer dans les demandes qu'elle lui fit de la cacher, appauvrir et humilier, a pris plaisir à la cacher dans sa conception, dans sa naissance, dans sa vie, dans ses mystères, dans sa résurrection et assomption, à l'égard de presque toute créature humaine. Ses parents mêmes ne la connaissaient pas; et les anges se demandaient souvent les uns aux autres: Quae est ista? Qui est celle-là? Parce que le Très-Haut la leur cachait; ou, s'il leur en découvrait quelque chose, il leur en cachait infiniment davantage.
4. Dieu le Père a consentit qu'elle ne fit point de miracle dans sa vie, du moins qui éclatât, quoiqu'il lui en eût donné la puissance. Dieu le Fils a consenti qu'elle ne parlât presque point, quoiqu'il lui eût communiqué sa sagesse. Dieu le Saint-Esprit a consenti que ses Apôtres et ses Evangélistes n'en parlassent que très peu et qu'autant qu'il était nécessaire pour faire connaître Jésus-Christ, quoiqu'elle fût son Epouse fidèle.
5. Marie est l'excellent
chef-d'oeuvre du Très-Haut, dont il s'est réservé la
connaissance et la possession. Marie est la
Mère
admirable du Fils, qu'il a pris plaisir à humilier et à
cacher pendant
sa vie, pour favoriser son humilité, la
traitant du
nom de femme, mulier, comme une étrangère, quoique
dans son coeur
il l'estimât et l'aimât plus que tous les anges
et les hommes.
Marie est la fontaine scellée et l'Epouse
fidèle du
Saint-Esprit, où il n'y a que lui qui entre. Marie
est le
sanctuaire et le repos de la Sainte-Trinité, où Dieu
est plus
magnifiquement et divinement qu'en aucun lieu de
l'univers,
sans excepter sa demeure sur les chérubins et les
séraphins; et
il n'est pas permis à aucune créature, quelque
pure qu'elle
soit, d'y entrer sans un grand privilège.
6. Je dis avec les
saints: La divine Marie est le paradis
terrestre du
nouvel Adam, où il s'est incarné par l'opération
du Saint-Esprit,
pour y opérer des merveilles
incompréhensibles.
C'est le grand et le divin monde de Dieu,
où il y a des
beautés et des trésors ineffables. C'est la
magnificence
du Très-Haut, où il a caché, comme dans son sein,
son Fils
unique, et en lui tout ce qu'il y a de plus excellent
et précieux.
Oh! oh! que de choses grandes et cachées ce Dieu
puissant a
faites en cette créature admirable, comme elle est
elle-même
obligée de le dire, malgré son humilité profonde:
Fecit mihi
magna qui potens est. Le monde ne les connaît pas,
parce qu'il en
est incapable et indigne.
7. Les saints ont
dit des choses admirables de cette sainte
cité de Dieu;
et ils n'ont jamais été plus éloquents et plus
contents,
comme ils l'avouent eux-mêmes, que quand ils en ont
parlé. Après
cela, ils s'écrient que la hauteur de ses
mérites, qu'elle
a élevés jusqu'au trône de la Divinité, ne se
peut
apercevoir; que la largeur de sa charité, qu'elle a plus
étendue que
la terre, ne se peut mesurer; que la grandeur de
sa puissance,
qu'elle a jusque sur un Dieu même, ne se peut
comprendre; et,
enfin, que la profondeur de son humilité et de
toutes ses
vertus et ses grâces, qui sont un abîme, ne se peut
sonder. O
hauteur incomprèhensible! O largeur ineffable! O
grandeur
démesurée! O abîme impénétrable!
8. Tous les jours,
d'un bout de la terre à l'autre, dans le
plus haut des
cieux, dans le plus profond des abîmes, tout
prêche, tout
publie l'admirable Marie. Les neuf choeurs des
anges, les
hommes de tous sexes, âges, conditions, religions,
bons et
mauvais, jusqu'aux diables, sont obligés de l'appeler
bienheureuse,
bon gré, mal gré, par la force de la vérité.
Tous les anges
dans les cieux lui crient incessamment, comme
dit saint
Bonaventure: Sancta, sancta, sancta Maria, Dei
Genitrix et
Virgo; et lui offrent millions de millions de fois
tous les jours
la Salutation des anges: Ave, Maria, etc., en
se prosternant
devant elle, et lui demandant pour grâce de les
honorer de
quelques-uns de ses commandements. Jusqu'à saint
Michel [qui],
dit saint Augustin, quoique le prince de toute
la cour
céleste, est le plus zélé à lui rendre et à lui faire
rendre toutes
sortes d'honneurs, toujours en attente pour
avoir l'honneur
d'aller, à sa parole, rendre service à
quelqu'un de
ses serviteurs.
9. Toute la terre
est pleine de sa gloire, particulièrement
chez les
chrétiens où elle est prise pour tutélaire et
protectrice en
plusieurs royaumes, provinces, diocèses et
villes.
Plusieurs cathédrales consacrées à Dieu sous son nom.
Point d'église
sans autel en son honneur: point de contrée ni
canton où il
n'y ait quelqu'une de ses images miraculeuses, où
toutes sortes
de maux sont guéris et toutes sortes de biens
obtenus. Tant
de confréries et congrégations en son honneur!
tant de
religions sous son nom et sa protection! tant de
confrères et
de soeurs de toutes les confréries et tant de
religieux et
religieuses de toutes les religions qui publient
ses louanges
et qui annoncent ses miséricordes! Il n'y a pas
un petit
enfant qui, en bégayant l'Ave Maria, ne la loue; il
n'y a guère
de pécheurs qui, en leur endurcissement même,
n'aient en
elle quelque étincelle de confiance; il n'y a pas
même de
diable dans les enfers qui, en la craignant, ne la
respecte.
10. Après cela,
il faut dire, en vérité, avec les saints:
De Maria
nunquam satis.
On n'a point
encore assez loué, exalté, honoré, aimé et servi
Marie. Elle
mérite encore plus de louanges, de respects,
d'amours et de
services.
11. Après cela,
il faut dire avec le Saint-Esprit: Omnis
gloria ejus
filiae Regis ab intus: Toute la gloire de la fille
du Roi est au
dedans: comme si toute la gloire extérieure que
lui rendent à
l'envi toute la terre n'était rien, en
comparaison de
celle qu'elle reçoit au-dedans par le Créateur,
et qui n'est
point connue des petites créatures, qui ne
peuvent
pénétrer le secret des secrets du Roi.
12. Après cela,
il faut nous écrier avec l'Apôtre: Nec oculus
vidit, nec
auris audivit, nec in cor hominis ascendit: Ni
l'oeil n'a pas
vu, ni l'oreille n'a entendu, ni le coeur de
l'homme n'a
compris les beautés, les grandeurs et excellences
de Marie, le
miracle des miracles de la grâce, de la nature et
de la gloire.
Si vous voulez comprendre la Mère, dit un saint,
comprenez le
Fils. C'est une digne Mère de Dieu: Hic taceat
omnis lingua:
Que toute langue demeure muette ici.
13. Mon coeur
vient de dicter tout ce que je viens d'écrire,
avec une joie
particulière, pour montrer que la divine Marie a
été inconnue
jusqu'ici, et que c'est une des raisons pourquoi
Jésus-Christ
n'est point connu comme il doit être. Si donc,
comme il est
certain, la connaissance et le règne de Jésus-
Christ
arrivent dans le monde, ce ne sera qu'une suite
nécessaire de
la connaissance et du règne de la Très Sainte
Vierge Marie,
qui l'a mis au monde la première fois et le fera
éclater la
seconde.
[1. «DIEU A VOULU
COMMENCER ET ACHEVER SES PLUS GRANDS
OUVRAGES PAR
LA TRES SAINTE VIERGE»]
14. J'avoue, avec
toute l'Eglise, que Marie n'étant qu'une
pure créature
sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa
Majesté
infinie, est moindre qu'un atome, ou plutôt n'est rien
du tout,
puisqu'il est seul "Celui qui est", et que, par
conséquent,
ce grand Seigneur, toujours indépendant et
suffisant à
lui-même, n'a pas eu ni n'a pas encore absolument
besoin de la
Très Sainte Vierge pour l'accomplissement de ses
volontés et
pour la manifestation de sa gloire. Il n'a qu'à
vouloir pour
tout faire.
15. Je dis
cependant que, les choses supposées comme elles
sont, Dieu
ayant voulu commencer et achever ses plus grands
ouvrages par
la Très Sainte Vierge depuis qu'il l'a formée, il
es à croire
qu'il ne changera point de conduite dans les
siècles des
siècles, car il est Dieu, et ne change point en
ses sentiments
ni en sa conduite.
16. Dieu le Père
n'a donné son Unique au monde que par Marie.
Quelques
soupirs qu'aient poussés les patriarches, quelques
demandes qu'aient
faites les prophètes et les saints de
l'ancienne loi,
pendant quatre mille ans, pour avoir ce
trésor, il n'y
a eu que Marie qui l'ait mérité et trouvé grâce
devant Dieu
par la force de ses prières et la hauteur de ses
vertus. Le
monde étant indigne, dit saint Augustin, de (le)
recevoir le
Fils de Dieu immédiatement des mains du Père, il
l'a donné à
Marie afin que le monde le reçût par elle.
Le Fils de
Dieu s'est fait homme pour notre salut, mais
en Marie et
par Marie.
Dieu le Saint-Esprit
a formé Jésus-Christ en Marie, mais
après lui
avoir demandé son consentement par un des premiers
ministres de
sa cour.
17. Dieu le Père
a communiqué à Marie sa fécondité autant
qu'une pure
créature en était capable, pour lui donner le
pouvoir de
produire son Fils et tous les membres de son Corps
mystique.
18. Dieu le Fils
est descendu dans son sein virginal, comme
le nouvel Adam
dans son paradis terrestre, pour y prendre ses
complaisances
et pour y opérer en cachette des merveilles de
grâce. Ce
Dieu fait homme a trouvé sa liberté à se voir
emprisonné
dans son sein; il a fait éclater sa force à se
laisser porter
par cette petite fille; il a trouvé sa gloire
et celle de
son Père à cacher ses splendeurs à toutes
créatures d'ici-bas,
pour ne les révéler qu'à Marie; il a
glorifié son
indépendance et sa majesté à dépendre de cette
aimable Vierge
dans sa conception, en sa naissance, en sa
présentation
au temple, en sa vie cachée de trente ans,
jusqu'en sa
mort, où elle devait assister, et pour être immolé
par son
consentement au Père éternel, comme autrefois Isaac
par le
consentement d'Abraham à la volonté de Dieu. C'est elle
qui l'a
allaité, nourri, entretenu, élevé et sacrifié pour
nous.
O admirable et
incompréhensible dépendance d'un Dieu que
le Saint-Esprit
n'a pu passer sous silence dans l'Evangile, -
quoiqu'il nous
ait chaché presque toutes les choses admirables
que cette
Sagesse incarnée a faites dans sa vie chachée -,
pour nous en
montrer le prix et la gloire infinie. Jésus-
Christ a plus
donné de gloire à Dieu son Père par la
soumission qu'il
a eue à sa Mère pendant trente années, qu'il
ne lui en eût
donné en convertissant toute la terre par
l'opération
des plus grandes merveilles. Oh! qu'on glorifie
hautement Dieu
quand on se soumet, pour lui plaire, à Marie, à
l'exemple de
Jésus-Christ, notre unique modèle!
19. Si nous
examins de près le reste de la vie de Jésus-
Christ, nous
verrons qu'il a voulu commencer ses miracles par
Marie. Il a
sanctifié saint Jean dans le sein de sa mère
sainte
Elisabeth, par la parole de Marie; aussitôt qu'elle eût
parlé, Jean
fut sanctifié, et c'est son premier et plus grand
miracle de
grâce. Il changea, aux noces de Cana, l'eau en vin.
à son humble
prière, et c'est son premier miracle de nature.
Il a commencé
et continué ses miracles par Marie; et il les
continuera
jusques à la fin des siècles par Marie.
20. Dieu le Saint-Esprit
étant stérile en Dieu, c'est-à-dire
ne produisant
point d'autre personne divine, est devenu fécond
par Marie qu'il
a épousée. C'est avec elle et en elle et
d'elle qu'il a
produit son chef-d'oeuvre, qui est un Dieu fait
homme, et qu'il
produit tous les jours jusqu'à la fin du monde
les
prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable:
c'est pourquoi
plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble
Epouse, dans
une âme, et plus il devient opérant et puissant
pour produire
Jésus-Christ en cette âme et cette âme en
Jésus-Christ.
21. Ce n'est pas
qu'on veuille dire que la Très Sainte Vierge
donne au Saint-Esprit
la fécondité, comme s'il ne l'avait pas,
puisque,
étant Dieu, il a la fécondité ou la capacité de
produire,
comme le Père et le Fils, quoiqu'il ne la réduise
pas à l'acte,
ne produisant point d'autre Personne divine.
Mais on veut
dire que le Saint-Esprit, par l'entremise de la
Sainte Vierge,
dont il veut bien se servir, quoiqu'il n'en ait
pas absolument
besoin, réduit à l'acte sa fécondité, en
produisant en
elle et par elle Jésus-Christ et ses membres.
Mystère de
grâce inconnu même aux plus savants et spirituels
d'entre les
chrétiens.
22. La conduite
que les trois Personnes de la Très Sainte
Trinité ont
tenue dans l'Incarnation et le premier avènement
de Jésus-Christ,
elles la gardent tous les jours, d'une
manière
invisible, dans la Sainte Eglise, et la garderont
jusqu'à la
consommation des siècles, dans le dernier avènement
de Jésus-Christ.
23. Dieu le Père
a fait un assemblage de toutes les eaux,
qu'il a nommé
la mer; et il a fait un assemblage de toutes ses
grâces, qu'il
a appelé Marie. Ce grand Dieu a un trésor ou un
magasin très
riche, où il a renfermé tout ce qu'il a de beau,
d'éclatant,
de rare et de précieux, jusqu'à son propre Fils;
et ce trésor
immense n'est autre que Marie, que les saints
appellent le
trésor du Seigneur, de la plénitude duquel les
hommes sont
enrichis.
24. Dieu le Fils a
communiqué à sa Mère tout ce qu'il a
acquis par sa
vie et sa mort, ses mérites infinis et ses
vertus
admirables, et il l'a faite la trésorière de tout ce
que son Père
lui a donné en héritage; c'est par elle qu'il
applique ses
mérites à ses membres, qu'il communique ses
vertus et
distribue ses grâces; c'est son canal mystérieux,
c'est son
aqueduc, par où il fait passer doucement et
abondamment
ses miséricordes.
25. Dieu le Saint-Esprit
a communiqué à Marie, sa fidèle
Epouse, ses
dons ineffables, et il l'a choisie pour la
dispensatrice
de tout ce qu'il possède: en sorte qu'elle
distribue à
qui elle veut, autant qu'elle veut, comme elle
veut et quand
elle veut, tous ses dons et ses grâces, et il ne
se donne aucun
don céleste aux hommes qui ne passe par ses
mains
virginales. Car telle est la volonté de Dieu, qui a
voulu que nous
ayons tout [par] Marie: car ainsi sera
enrichie,
élevée et honorée du Très-Haut celle qui s'est
appauvrie,
humiliée et cachée jusqu'au fond du néant par sa
propre
humilité, pendant toute sa vie. Voilà les sentiments de
l'Eglise et
des Saints Pères.
26. Si je parlais
à des esprits forts de ce temps, je
prouverais
tout ce que je dis simplement, plus au long, par la
Sainte
Ecriture, les Saints Pères, dont je rapporterias les
passages
latins, et par plusieurs solides raisons qu'on pourra
voir au long
déduites par le R.P Poiré en sa Triple Couronne
de la Sainte
Vierge. Mais comme je parle particulièrement aux
pauvres et aux
simples qui, étant de bonne volonté et ayant
plus de foi
que le commun des savants, croient plus simplement
et avec plus
de mérite, je me contente de leur déclarer
simplement la
vérité, sans m'arrêter à leur citer tous les
passages
latins, qu'ils n'entendent pas, quoique je ne laisse
pas d'en
rapporter quelques-uns, sans les rechercher beaucoup.
Continuons.
27. La grâce
perfectionnant la nature, et la gloire
perfectionnant
la grâce, il est certain que Notre-Seigneur est
encore dans le
ciel aussi Fils de Marie qu'il l'était sur la
terre, et que,
par conséquent, il a conservé la soumission et
l'obéissance
du plus parfait de tous les enfants à l'égard de
la meilleure
de toutes les mères. Mais il faut prendre garde
de concevoir
en cette dépendance quelque abaissement ou
imperfection
en Jésus-Christ. Car Marie étant infiniment au-
dessous de son
Fils, qui est Dieu, ne lui commande pas comme
une mère d'ici-bas
commanderait à son enfant qui est au-
dessous d'elle.
Marie, étant toute transformée en Dieu par la
grâce et la
gloire qui transforme tous les saints en lui, ne
demande, ne
veut ni ne fait rien qui soit contraire à
l'éternelle
et immuable volonté de Dieu. Quand on lit donc,
dans les
écrits des saints Bernard, Bernardin, Bonaventure,
etc., que dans
le ciel et sur la terre, tout, jusqu'à Dieu
même, est
soumis à la Très Sainte Vierge, ils veulent dire que
l'autorité
que Dieu a bien voulu lui donner est si grande,
qu'il semble
qu'elle a la même puissance que Dieu, et que ses
prières et
demandes sont si puissantes auprès de Dieu,
qu'elles
passent toujours pour des commandements auprès de sa
Majesté, qui
ne résiste jamais à la prière de sa chère Mère,
parce qu'elle
est toujours humble et conforme à sa volonté.
Si Moïse, par
la force de sa prière, arrêta la colère de
Dieu sur les
Israélites, d'une manière si puissante que ce
très haut et
infiniment miséricordieux Seigneur, ne pouvant
lui résister,
lui dit qu'il le laissât se mettre en colère et
punir ce
peuple rebelle, que devons-nous penser, à plus forte
raison, de la
prière de l'humble Marie, la digne Mère de Dieu,
qui est plus
puissante auprès de sa Majesté que les prières et
intercessions
de tous les anges et les saints du ciel et de la
terre?
28. Marie commande
dans les cieux sur les anges et les
bienheureux.
Pour récompense de son humilité profonde, Dieu
lui a donné
le pouvoir et la commission de remplir de saints
les trônes
vides dont les anges apostats sont tombés par
orgueil. Telle
est la volonté du Très-Haut, qui exalte les
humbles, que
le ciel et la terre et les enfers plient, bon gré
mal gré, aux
commandement de l'humble Marie, qu'il a faite la
souveraine du
ciel et de la terre, la générale de ses armées,
la
trésorière de ses trésors, la dispensatrice de ses grâces,
l'ouvrière de
ses grandes merveilles, la réparatrice du genre
humain, la
médiatrice des hommes, l'exterminatrice des ennemis
de Dieu et la
fidèle compagne de ses grandeurs et de ses
triomphes.
29. Dieu le Père
se veut faire des enfants par Marie jusqu'à
la
consommation du monde, et il lui dit ces paroles: In Jacob
inhabita:
demeurez en Jacob, c'est-à-dire faites votre demeure
et résidence
dans mes enfants et prédestinés, figurés par
Jacob, et non
point dans les enfants du diable et les
réprouvés,
figurés par Esaü.
30. Comme dans la
génération naturelle et corporelle il y a
un père et
une mère, de même dans la génération surnaturelle
et spirituelle
il y a un père qui est Dieu et une mère qui est
Marie. Tous
les vrais enfants de Dieu et prédestinés ont Dieu
pour père et
Marie pour mère; et qui n'a pas Marie pour Mère
n'a pas Dieu
pour Père. C'est pourquoi les réprouvés, comme
les
hérétiques, schismatiques, etc., qui haïssent ou regardent
avec mépris
ou indifférence la Très Sainte Vierge, n'ont point
Dieu pour
père, quoiqu'ils s'en glorifient, parce qu'ils n'ont
pas Marie pour
mère: car, s'ils l'avaient pour mère, ils
l'aimeraient
et l'honoreraient comme un vrai et bon enfant
aime
naturellement et honore sa mère qui lui a donné la vie.
Le signe le
plus infaillible et le plus indubitable pour
distinguer un
hérétique, un homme de mauvaise doctrine, un
réprouvé, d'avec
un prédestiné, c'est que l'hérétique et le
réprouvé n'ont
que du mépris ou de l'indifférence pour la Très
Sainte Vierge,
tâchant, par leurs paroles et exemples, d'en
diminuer le
culte et l'amour, ouvertement ou en cachette,
quelquefois
sous de beaux prétextes. Hélas! Dieu le Père n'a
pas dit à
Marie de faire sa demeure en eux, parce qu'ils sont
des Esaüs.
31. Dieu le Fils
veut se former et, pour ainsi dire,
s'incarner
tous les jours, par sa chère Mère, dans ses
membres, et il
lui dit: In Israel haereditare: Ayez Israël
pour héritage.
C'est comme s'il disait: Dieu mon Père m'a
donné pour
héritage toutes les nations de la terre, tous les
hommes bons et
mauvais, prédestinés et réprouvés; je conduirai
les uns par la
verge d'or et les autres par la verge de fer;
je serai le
père et l'avocat des uns, le juste vengeur des
autres, et le
juge de tous; mais pour vous, ma chère Mère,
vous n'aurez
pour votre héritage et possession que les
prédestinés
figurés par Israël; et, comme leur bonne mère,
vous les
enfanterez, nourrirez, élèverez; et, comme leur
souveraine,
vous les conduirez, gouvernerez et défendrez.
32. "Un homme
et un homme est né en elle", dit le Saint-
Esprit: Homo
et homo natus est in ea. Selon l'explication de
quelques
Pères, le premier homme qui est né en Marie est
l'Homme-Dieu,
Jésus-Christ; le second est un homme pur, enfant
de Dieu et de
Marie par adoption. Si Jésus-Christ, le chef des
hommes, est
né en elle, les prédestinés, qui sont les membres
de ce chef,
doivent aussi naître en elle par une suite
nécessaire.
Une même mère ne met pas au monde la tête ou le
chef sans les
membres, ni les membres, sans la tête; autrement
ce serait un
monstre de la nature; de même, dans l'ordre de la
grâce, le
chef et les membres naissent d'une même mère; et si
un membre du
corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire un
prédestiné,
naissait d'une autre mère que Marie qui a produit
le chef, ce ne
serait pas un prédestiné, ni un membre de
Jésus-Christ,
mais un monstre dans l'ordre de la grâce.
33. De plus,
Jésus-Christ étant à présent autant que jamais
le fruit de
Marie, comme le Ciel et la terre lui répètent
mille et mille
fois tous les jours: Et béni est le fruit de
votre ventre,
Jésus, il est certain que Jésus-Christ est pour
chaque homme
en particulier, qui le possède, aussi
véritablement
le fruit et l'oeuvre de Marie, que pour tout le
monde en
général; en sorte que, si quelque fidèle a Jésus-
Christ formé
dans son coeur, il peut dire hardiment: " Grand
merci à Marie,
ce que je possède est son effet et son fruit,
et sans elle
je ne l'aurais pas"; et on peut lui appliquer
plus
véritablement que saint Paul ne se les applique, ces
paroles: Quos
iterum parturio, donec in vobis formetur
Christus: J'enfante
tous les jours les enfants de Dieu,
jusqu'à ce
que Jésus-Christ mon Fils ne soit formé en eux dans
la plénitude
de son âge. Saint Augustin se surpassant soi-
même, et tout
ce que je viens de dire, dit que tous les
prédestinés,
pour être conformes à l'image du Fils de Dieu,
sont en ce
monde cachés dans le sein de la Très Sainte Vierge,
où ils sont
gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette
bonne Mère,
jusqu'à ce qu'elle ne les enfante à la gloire,
après la mort,
qui est proprement le jour de leur naissance,
comme l'Eglise
appelle la mort des justes. O mystère de grâce
inconnu aux
réprouvés et peu connu des prédestinés!
34. Dieu le Saint-Esprit
veut se former en elle et par elle
des élus et
il lui dit: In electis meis mitte radices. Jetez,
ma bien-aimée
et mon Epouse, les racines de toutes vos vertus
dans mes élus,
afin qu'ils croissent de vertu en vertu et de
grâce en
grâce. J'ai pris tant de complaisance en vous, lorque
vous viviez
sur la terre dans la pratique des plus sublimes
vertus, que je
désire encore vous trouver sur la terre, sans
cesser d'être
dans le ciel. Reproduisez-vous pour cet effet
dans mes élus:
que je voie en eux avec complaisance les
racines de
votre foi invincible, de votre humilité profonde,
de votre
mortification universelle, de votre oraison sublime,
de votre
charité ardente, de votre espérance ferme et de
toutes vos
vertus. Vous êtes toujours mon Epouse aussi fidèle,
aussi pure et
aussi féconde que jamais: que votre foi me donne
des fidèles;
que votre pureté me donne des vierges, que votre
fécondité me
donne des élus et des temples.
35. Quand Marie a
jeté ses racines dans une âme, elle y
produit des
merveilles de grâces qu'elle seule peut produire
parce qu'elle
est seule la Vierge féconde qui n'a jamais eu ni
n'aura jamais
sa semblable en pureté et en fécondité.
Marie a
produit, avec le Saint-Esprit, la plus grande
chose qui ait
été et sera jamais, qui est un Dieu-Homme, et
elle produira
conséquemment les plus grandes choses qui seront
dans les
derniers temps. La formation et l'éducation des
grands saints
qui seront sur la fin du monde lui est réservée;
car il n'y a
que cette Vierge singulière et miraculeuse qui
peut produire,
en union du Saint-Esprit, les choses
singulières
et extraordinaires.
36. Quand le Saint-E
sprit, son Epoux, l'a trouvée dans une
âme, il y
vole, il y entre pleinement, il se communique à
cette âme
abondamment et autant qu'elle donne place à son
Epouse; et une
des grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne
fait pas
maintenant des merveilles éclatantes dans les âmes,
c'est qu'il n'y
trouve pas une assez grande union avec sa
fidèle et
indissoluble Epouse. Je dis: indissoluble Epouse,
car depuis que
cet Amour substantiel du Père et du Fils a
épousé Marie
pour produire Jésus-Christ, le chef des élus et
Jésus-Christ
dans les élus, il ne l'a jamais répudiée, parce
qu'elle a
toujours été fidèle et féconde.
[2. «LA DEVOTION A LA TRES SAINTE VIERGE EST NECESSAIRE»]
37. On doit
conclure évidemment de ce que je viens de dire:
Premièrement,
que Marie a reçu de Dieu une grande
domination
dans les âmes des élus: car elle ne peut pas faire
en eux sa
résidence, comme Dieu le Père lui a ordonné; les
former, les
nourrir et les enfanter à la vie éternelle comme
leur mère,
les avoir pour son héritage et sa portion, les
former en
Jésus-Christ et Jésus-Christ en eux; jeter dans leur
coeur les
racines de ses vertus, et être la compagne
indissoluble
du Saint-Esprit pour tous ces ouvrages de grâces;
elle ne peut
pas, dis-je, faire toutes ces choses, qu'elle
n'ait droit et
domination dans leurs âmes par une grâce
singulière du
Très-Haut, qui, lui ayant donné puissance sur
son Fils
unique et naturel, la lui a aussi donné sur ses
enfants
adoptifs, non seulement quant au corps, ce qui serait
peut de chose,
mais aussi quant à l'âme.
38. Marie est la
Reine du ciel et de la terre par grâce,
comme Jésus
en est le Roi par nature et par conquête. Or,
comme le
royaume de Jésus-Christ consiste principalement dans
le coeur ou l'intérieur
de l'homme, selon cette parole: Le
royaume de
Dieu est au-dedans de vous, de même le royaume de
la Très
Sainte Vierge est principalement dans l'intérieur de
l'homme, c'est-à-dire
dans son âme, et c'est principalement
dans les âmes
qu'elle est plus glorifiée avec son Fils que
dans toutes
les créatures visibles, et nous pouvons l'appeler
avec les
saints la Reine des Coeurs.
39. Secondement,
il faut conclure que la Très Sainte Vierge
étant
nécessaire à Dieu, d'une nécessité qu'on appelle
hypothétique,
en conséquence de sa volonté, elle est bien plus
nécessaire
aux hommes pour arriver à leur dernière fin. Il ne
faut donc pas
mêler la dévotion à la Très Sainte Vierge avec
les dévotions
aux autres saints, comme si elle n'était pas
plus
nécessaire, et que de surérogation.
40. Le docte et le
pieux Suarez, de la Compagnie de Jésus, le
savant et le
dévot Juste-Lipse, docteur de Louvain, et
plusieurs
autres, ont prouvé invinciblement, en conséquence
des sentiments
des Pères, entre autres de saint Augustin, de
saint Ephrem,
diacre d'Edesse, de saint Cyrille de Jérusalem,
de saint
Germain de Constantinople, de saint Jean de Damas, de
saint Anselme,
saint Bernard, saint Bernardin, saint Thomas et
saint
Bonaventure, que la dévotion à la Très Sainte Vierge est
nécessaire au
salut, et que c'est une marque infaillible de
réprobation,
au sentiment même d'Oecolampade et de quelques
autres, de n'avoir
pas de l'estime et de l'amour pour la
Sainte Vierge,
et qu'au contraire, c'est une marque
infaillible de
prédestination de lui être entièrement et
véritablement
dévoué ou dévot.
41. Les figures et
les paroles de l'Ancien et du Nouveau
Testament le
prouvent, les sentiments et les exemples des
saints le
confirment, la raison et l'expérience l'apprennent
et le
démontrent; le diable même, et ses suppôts, pressés par
la force de la
vérité, ont été souvent obligés de l'avouer
malgré eux.
De tous ces passages des saints Pères et des
Docteurs, dont
j'ai fait un ample recueil pour prouver cette
vérité, je n'en
rapporte qu'un afin de n'être pas trop long:
Tibi devotum
esse, est arma quaedam salutis quae Deus his dat
quos vult
salvos fieri (S. Joan. Damas): Vous être dévot, ô
Sainte Vierge,
dit saint Jean Damascène, est une arme de salut
que Dieu donne
à ceux qu'il veut sauver.
42. Je pourrais
ici rapporter plusieurs histoires qui
prouvent la
même chose, entre autres: 1 celle qui est
rapportée
dans les chroniques de saint François, lorsqu'il vit
dans une
extase une grande échelle qui allait au ciel, au bout
de laquelle
était la Sainte Vierge et par laquelle il lui fut
montré qu'il
fallait monter pour arriver au ciel; 2 celle qui
est rapportée
dans les chroniques de saint Dominique, lorsque
quinze mille
démons possédant l'âme d'un malheureux hérétique
près de
Carcassonne, où saint Dominique prêchait le Rosaire,
furent
obligés, à leur confusion, par le mandement que leur en
fit la Sainte
Vierge, d'avouer plusieurs grandes et
consolantes
vérités touchant la dévotion à la Sainte Vierge,
avec tant de
force et de clarté, qu'on ne peut pas lire cette
histoire
authentique et le panégyrique que le diable fit
malgré lui de
la dévotion à la Très Sainte Vierge, sans verser
des larmes de
joie, pour peu qu'on soit dévot à la Très Sainte
Vierge.
43. Si la
dévotion à la Très Sainte Vierge est nécessaire à
tous les
hommes pour faire simplement leur salut, elle l'est
encore
beaucoup plus à ceux qui sont appelés à une perfection
particulière;
et je ne crois pas qu'une personne puisse
acquérir une
union intime avec Notre-Seigneur et une parfaite
fidélité au
Saint-Esprit, sans une très grande union avec la
Très Sainte
Vierge et une grande dépendance de son secours.
44. C'est Marie
seule qui a trouvé grâce devant Dieu, sans
aide d'aucune
autre pure créature. Ce n'est que par elle que
tous ceux qui
ont trouvé grâce devant Dieu depuis elle l'ont
trouvée, et
ce n'est que par elle que tous ceux qui viendront
ci-après la
trouveront. Elle était pleine de grâce quand elle
fut saluée
par l'archange Gabriel, elle fut surabondamment
remplie de
grâce par le Saint-Esprit quand il la couvrit de
son ombre
ineffable; et elle a [tellement] augmenté de jour en
jour [et] de
moment en moment cette plénitude double, qu'elle
est arrivée
à un point de grâce immense et inconcevable; en
sorte que le
Très-Haut l'a faite l'unique trésorière de ses
trésors et l'unique
dispensatrice de ses grâces, pour anoblir,
élever et
enrichir qui elle veut, pour faire passer, malgré
tout, qui elle
veut par la porte étroite de la vie, et pour
donner le
trône, le sceptre et la couronne de roi à qui elle
veut. Jésus
est partout et toujours le fruit et le Fils de
Marie; et
Marie est partout l'arbre véritable qui porte le
fruit de vie,
et la vraie mère qui le produit.
45. C'est Marie
seule à qui Dieu a donné les clefs des
celliers du
divin amour, et le pouvoir d'entrer dans les voies
les plus
sublimes et les plus secrètes de la perfection, et
d'y faire
entrer les autres. C'est Marie seule qui donne
l'entrée dans
le paradis terrestre aux misérables enfants
d'Eve l'infidèle,
pour s'y promener agréablement avec Dieu,
pour s'y
cacher sûrement contre ses ennemis et pour s'y
nourrir
délicieusement, et sans plus craindre la mort, du
fruit des
arbres de vie et de science du bien et du mal et
pour y boire
à longs traits les eaux célestes de cette belle
fontaine qui y
rejaillit avec abondance; ou plutôt comme elle
est elle-même
ce paradis terrestre, ou cette terre vierge et
bénie dont
Adam et Eve les pécheurs ont été chassés, elle ne
donne entrée
chez elle qu'à ceux et celles qu'il lui plait
pour les faire
devenir saints.
46. Tous les
riches du peuple, pour me servir de l'expression
du Saint-Esprit,
selon l'explication de saint Bernard, tous
les riches du
peuple supplieront votre visage de siècle en
siècle, et
particulièrement à la fin du monde, c'est-à-dire
que les plus
grands saints, les âmes les plus riches en grâce
et en vertus,
seront les plus assidus à prier la Très Sainte
Vierge et à l'avoir
toujours présente comme leur parfait
modèle pour l'imiter,
et leur aide puissante pour les
secourir.
47. J'ai dit que
cela arriverait particulièrement à la fin du
monde, et
bientôt, parce que le Très-Haut avec sa sainte Mère
doivent se
former de grands saints qui surpasseront autant en
sainteté la
plupart des autres saints, que les cèdres du Liban
surpassent les
petits arbrisseaux, comme il a été révélé à une
sainte âme
dont la vie a été écrite par Mr. de Renty.
48. Ces grandes
âmes, pleines de grâce et de zèle, seront
choisies pour
s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de
tous côtés,
et elles seront singulièrement dévotes à la Très
Sainte Vierge,
éclairées par sa lumière, nourries de son lait,
conduites par
son esprit, soutenues par son bras et gardées
sous sa
protection, en sorte qu'elles combattront d'une main
et édifieront
de l'autre. D'une main, elles combattront,
renverseront,
écraseront les hérétiques avec leurs hérésies,
les
schismatiques avec leur schismes, les idolâtres avec leur
idolâtrie, et
les pécheurs avec leurs impiétés; et, de l'autre
main, elles
edifieront le temple du vrai Salomon et la
mystique cité
de Dieu, c'est-à-dire la Très Sainte Vierge,
appelée par
les Saints Pères le temple de Salomon et la cité
de Dieu. Ils
porteront tout le monde, par leurs paroles et
leurs exemples,
à sa véritable dévotion, ce qui leur attirera
beaucoup d'ennemis,
mais aussi beaucoup de victoires et de
gloire pour
Dieu seul. C'est ce que Dieu a révélé à saint
Vincent
Ferrier, grand apôtre de son siècle, comme il l'a
suffisamment
marqué dans un de ses ouvrages.
C'est ce que
le Saint-Esprit semble avoir prédit dans le
Psaume 58,
dont voici les paroles: Et scient quia Dominus
dominabitur
Jacob et finium terrae; convertentur ad vesperam,
et famem
patientur ut canes, et circuibunt civitatem: Le
Seigneur
règnera dans Jacob et dans toute la terre; ils se
convertiront
sur le soir, et il souffriront la faim comme des
chiens, et ils
iront autour de la ville pour trouver de quoi
manger. Cette
ville que les hommes tournoieront à la fin du
monde pour se
convertir, et pour rassasier la faim qu'ils
auront de la
justice, est la Très Sainte Vierge qui est
appelée par
le Saint-Esprit ville et cité de Dieu.
[B. NECESSITE DE
LA DEVOTION A MARIE
PARTICULIEREMENT
DANS LES DERNIERS TEMPS]
49. C'est par
Marie que le salut du monde a commencé, et
c'est par
Marie qu'il doit être consommé. Marie n'a presque
point paru
dans le premier avènement de Jésus-Christ, afin que
les hommes,
encore peu instruits et éclairés sur la personne
de son Fils,
ne s'éloignassent de la vérité, en s'attachant
trop fortement
et trop grossièrement à elle, à cause des
charmes
admirables que le Très-Haut avait mis même en son
extérieur; ce
qui est si vrai que saint Denis l'Aéropagite
nous a laissé
par écrit que, quand il la vit, il l'aurait
prise pour une
divinité, à cause de ses charmes secrets et de
sa beauté
incomparable, si la foi, dans laquelle il était bien
confirmé, ne
lui avait appris le contrarie. Mais, dans le
second
avènement de Jésus-Christ, Marie doit être connue et
révélée par
le Saint-Esprit afin de faire par elle connaître,
aimer et
servir Jésus-Christ, les raisons qui ont porté le
Saint-Esprit
à cacher son Epouse pendant sa vie, et à ne la
révéler que
bien peu depuis la prédication de l'Evangile, ne
subsistant
plus.
[1. «DIEU VEUT
REVELER ET DECOUVRIR MARIE DANS LES DERNIERS
TEMPS»]
50. Dieu veut donc
révéler et découvir Marie, le chef-
d'oeuvre de
ses mains, dans ces derniers temps.
1 Parce qu'elle
s'est cachée dans ce monde et s'est mise
plus bas que
la poussière par sa profonde humilité, ayant
obtenu de Dieu,
de ses Apôtres et Evangélistes qu'elle ne fût
point
manifestée.
2 Parce qu'étant
le chef-d'oeuvre des mains de Dieu,
aussi bien ici-bas
par la grâce que dans le ciel par la
gloire, il
veut en être glorifié et loué sur la terre par les
vivants.
3 Comme elle
est l'aurore qui précède et découvre le
Soleil de
justice, qui est Jésus-Christ, elle doit être connue
et aperçue,
afin que Jésus-Christ le soit.
4 Etant la
voie par laquelle Jésus-Christ est venu à
nous la
premIère fois, elle le sera encore lorsqu'il viendra
la seconde,
quoique non pas de la même manière.
5 Etant le
moyen sûr et la voie droite et immaculée pour
aller à
Jésus-Christ et le trouver parfaitement, c'est par
elle que les
saintes âmes qui doivent éclater en sainteté
doivent la
trouver. Celui qui trouvera Marie trouvera la vie.
Mais on ne
peut trouver Marie qu'on ne la cherche; on ne peut
la chercher qu'on
ne la connaisse: car on ne cherche ni ne
désire un
objet inconnu. Il faut donc que Marie soit plus
connue que
jamais, à la plus grande connaissance et gloire de
la Très
Sainte Trinité.
6 Marie doit
éclater, plus que jamais, en miséricorde,
en force et en
grâce dans ces derniers temps: en miséricorde,
pour ramener
et recevoir amoureusement les pauvres pécheurs et
dévoyés qui
se convertiront et reviendront à l'Eglise
catholique; en
force contre les ennemis de Dieu, les
idolâtres,
schismatiques, mahométans, juifs et impies
endurcis, qui
se révolteront terriblement pour séduire et
faire tomber,
par promesses et menaces, tous ceux qui leur
seront
contraires et enfin elle doit éclater en grâce, pour
animer et
soutenir les vaillants soldats et fidèles serviteurs
de Jésus-Christ
qui combattront pour ses intérêts.
7 Enfin Marie
doit être terrible au diable et à ses
suppôts comme
une armée rangée en bataille, principalement
dans ces
derniers temps, parce que le diable, sachant bien
qu'il a peu de
temps, et beaucoup moins que jamais, pour
perdre les
âmes, il redouble tous les jours ses efforts et ses
combats; il
suscitera bientôt de cruelles persécutions, et
mettra de
terribles embûches aux serviteurs fidèles et aux
vrais enfants
de Marie, qu'il a plus de peine à surmonter que
les autres.
51. C'est
principalement de ces dernières et cruelles
persécutions
du diable qui augmenteront tous les jours
jusqu'au
règne de l'Antéchrist, qu'on doit entendre cette
première et
célèbre prédiction et malédiction de Dieu, portée
dans le
paradis terrestre contre le serpent. Il est à propos
de l'expliquer
ici pour la gloire de la Très Sainte Vierge, le
salut de ses
enfants et la confusion du diable.
Inimicitias
ponam inter te et mulierem, et semen tuum et
semen illius;
ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis
calcaneo ejus
(Gn 3,15): Je mettrai des inimitiés entre toi et
la femme, et
ta race et la sienne; elle-même t'écrasera la
tête, et tu
mettras des embûches à son talon.
52. Jamais Dieu n'a
fait et formé qu'une inimitié, mais
irréconciliable,
qui durera et augmentera même jusques à la
fin: c'est
entre Marie, sa digne Mère, et le diable, entre les
enfants et
serviteurs de la Sainte Vierge, et les enfants et
suppôts de
Lucifer; en sorte que la plus terrible des ennemies
que Dieu ait
faite contre le diable est Marie, sa sainte Mère.
Il lui a même
donné, dès le paradis terrestre, quoiqu'elle ne
fût encore
que dans son idée, tant de haine contre ce maudit
ennemi de Dieu,
tant d'industrie pour découvrir la malice de
cet ancien
serpent, tant de force pour vaincre, terrasser et
écraser cet
orgueilleux impie, qu'il l'appréhende plus, non
seulement que
tous les anges et les hommes, mais, en un sens,
que Dieu même.
Ce n'est pas que l'ire, la haine et la
puissance de
Dieu ne soient infiniment plus grandes que celles
de la Sainte
Vierge, puisque les perfections de Marie sont
limitées;
mais c'est premièrement parce que Satan, étant
orgueilleux,
souffre infiniment plus d'être vaincu et puni par
une petite et
humble servante de Dieu, et son humilité
l'humilie plus
que le pouvoir divin; secondement parce que
Dieu a donné
à Marie un si grand pouvoir contre les diables,
qu'ils
craignent plus, comme ils ont été souvent obligés
d'avouer,
malgré eux, par la bouche des possédés, un seul de
ses soupirs
pour quelque âme, que les prières de tous les
saints, et une
seule de ses menaces contre eux que tous leurs
autres
tourments.
53. Ce que Lucifer
a perdu par orgueil, Marie l'a gagné par
humilité; ce
qu'Eve a damné et perdu par désobéissance, Marie
l'a sauvé par
obéissance. Eve, en obéissant au serpent, a
perdu tous ses
enfants avec elle, et les lui a livrés; Marie,
s'étant
rendue parfaitement fidèle à Dieu, a sauvé tous ses
enfants et
serviteurs avec elle, et les a consacrés à sa
Majesté.
54. Non seulement
Dieu a mis une inimitié, mais des
inimitiés,
non seulement entre Marie et le démon, mais entre
la race de la
Sainte Vierge et la race du démon; c'est-à-dire
que Dieu a mis
des inimitiés, des antipathies et haines
secrètes
entres les vrais enfants et serviteurs de la Sainte
Vierge et les
enfants et esclaves du diable; ils ne s'aiment
point
mutuellement, ils n'ont point de correspondance
intérieure
les uns avec les autres. Les enfants de Bélial, les
esclaves de
Satan, les amis du monde (car c'est la même
chose), ont
toujours persécuté jusqu'ici et persécuteront plus
que jamais
ceux et celles qui appartiennent à la Très Sainte
Vierge, comme
autrefois Caïn persécuta son frère Abel, et Esaü
son frère
Jacob, qui sont les figures des réprouvés et des
prédestinés.
Mais l'humble Marie aura toujours la victoire sur
cet
orgueilleux, et si grande qu'elle ira jusqu'à lui écraser
la tête où
réside son orgueil; elle découvrira toujours ses
mines
infernales, elle dissipera ses conseils diaboliques, et
garantira
jusqu'à la fin des temps ses fidèles serviteurs de
sa patte
cruelle.
Mais le
pouvoir de Marie sur tous les diables éclatera
particulièrement
dans les derniers temps, où Satan mettra des
embûches à
son talon, c'est-à-dire à ses humbles esclaves et à
ses pauvres
enfants qu'elle suscitera pour lui faire la
guerre. Ils
seront petits et pauvres selon le monde, et
abaissés
devant tous comme le talon, foulés et persécutés
comme le talon
l'est à l'égard des autres membres du corps;
mais, en
échange, ils seront riches en grâce de Dieu, que
Marie leur
distribuera abondamment; grands et relevés en
sainteté
devant Dieu, supérieurs à toute créature par leur
zèle animé,
et si fortement appuyés du secours divin, qu'avec
l'humilité de
leur talon, en union de Marie, ils écraseront la
tête du
diable et feront triompher Jésus-Christ.
[2. LA DEVOTION A
MARIE NECESSAIRE PARTICULIEREMENT DANS LES
DERNIERS TEMPS]
55. Enfin Dieu
veut que sa sainte Mère soit à présent plus
connue, plus
aimée, plus honorée que jamais elle n'a été: ce
qui arrivera
sans doute, si les prédestinés entrent, avec la
grâce et
lumière du Saint-Esprit, dans la pratique intérieure
et parfaite qu
je leur découvrirai dans la suite. Pour lors,
ils verront
clairement, autant que la foi le permet, cette
belle étoile
de la mer, et ils arriveront à bon port, malgré
les tempêtes
et les pirates, en suivant sa conduite; ils
connaîtront
les grandeurs de cette souveraine, et ils se
consacreront
entièrement à son service, comme ses sujets et
ses esclaves d'amour;
ils éprouveront ses douceurs et ses
bontés
maternelles, et ils l'aimeront tendrement comme ses
enfants bien-aimés;
ils connaîtront les miséricordes dont elle
est pleine et
les besoins où ils sont de son secours, et ils
auront recours
à elle en toutes choses comme à leur chère
avocate et
médiatrice auprès de Jésus-Christ; ils sauront
qu'elle est le
moyen le plus assuré, le plus aisé, le plus
court et le
plus parfait pour aller à Jésus-Christ, et ils se
livreront à
elle corps et âme, sans partage, pour être à
Jésus-Christ
de même.
56. Mais qui
seront ces serviteurs, esclaves et enfants de
Marie?
Ce seront un
feu brûlant, ministres du Seigneur qui
mettront le
feu de l'amour divin partout.
Ce seront
sicut sagittae in manu potentis, des flèches
aiguës dans
la main de la puissante Marie pour percer ses
ennemis.
Ce seront des
enfants de Lévi, bien purifiés par le feu
de grandes
tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront
l'or de l'amour
divin dans le coeur, l'encens de l'oraison
dans l'esprit
et la myrrhe de la mortification dans le corps,
et qui seront
partout la bonne odeur de Jésus-Christ aux
pauvres et aux
petis, tandis qu'ils seront une odeur de mort
aux grands,
aux riches et orgueilleux mondains.
57. Ce seront des
nues tonnantes et volantes par les airs au
moindre
souffle du Saint-Esprit, qui, sans s'attacher à rien,
ni s'étonner
de rien, ni se mettre en peine de rien,
répandront la
pluie de la parole de Dieu et de la vie
éternelle;
ils tonneront contre le péché, ils gronderont
contre le
monde, ils frapperont le diable et ses suppôts, et
ils perceront
d'outre en outre, pour la vie ou pour la mort,
avec leur
glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous
ceux auquels
ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
58. Ce seront des
apôtres véritables des derniers temps, à
qui le
Seigneur des vertus donnera la parole et la force pour
opérer des
merveilles et remporter des dépouilles glorieuses
sur ses
ennemis; ils dormiront sans or ni argent et, qui plus
est, sans soin,
au milieu des autres prêtres, et
écclésiastiques
et clercs, inter medios cleros; et cependant
auront les
ailes argentées de la colombe, pour aller avec la
pure intention
de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où
le Saint-Esprit
les appellera, et ils ne laisseront après eux,
dans les lieux
où ils auront prêché, que l'or de la charité
qui est l'accomplissement
de toute la loi.
59. Enfin, nous
savons que ce seront de vrais disciples de
Jésus-Christ,
qui marchant sur les traces de sa pauvreté,
humilité,
mépris du monde et charité, enseignant la voie
étroite de
Dieu dans la pure vérité, selon le saint Evangile,
et non selon
les maximes du monde, sans se mettre en peine ni
faire
acception de personne, sans épargner, écouter ni
craindre aucun
mortel, quelque puissant qu'ils soit. Ils
auront dans
leur bouche le glaive à deux tranchants de la
parole de Dieu;
ils porteront sur leurs épaules l'étendard
ensanglanté
de la Croix, le crucifix dans la main droite, le
chapelet dans
la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie
sur leur coeur,
et la modestie et mortification de Jésus-
Christ dans
toute leur conduite.
Voilà de
grands hommes qui viendront, mais que Marie fera
par ordre du
Très-Haut, pour étendre son empire sur celui des
impies,
idolâtres et mahométans. Mais quand et comment cela
sera-t-il?...
Dieu seul le sait: c'est à nous de nous taire,
de prier,
soupirer et attendre: Expectans expectavi.
II. «EN QUOI CONSISTE LA DEVOTION A MARIE»
[A. VERITES FONDAMENTALES DE LA DEVOTION A LA SAINTE VIERGE]
60. Ayant jusqu'ici
dit quelque chose de la nécessité que
nous avons de
la dévotion à la Très Sainte Vierge, il faut
dire en quoi
consiste cette dévotion; ce que je ferai, Dieu
aidant, après
que j'aurai présupposé quelques vérités
fondamentales,
qui donneront jour à cette grande et solide
dévotion que
je veux découvrir.
[«Jésus-Christ
est la fin dernière de toutes nos dévotions»]
61. Première
vérité. - Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu
et vrai homme,
doit être la fin dernière de toutes nos autres
dévotions:
autrement elles seraient fausses et trompeuses.
Jésus-Christ
est l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin
de toutes
choses. Nous ne travaillons, comme dit l'Apôtre, que
pour rendre
tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que
c'est en lui
seul qu'habite[nt] toute la plénitude de la
Divinité et
toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus
et de
perfections; parce que c'est en lui seul que nous avons
été bénis
de toute bénédiction spirituelle; parce qu'il est
notre unique
maître qui doit nous enseigner, notre unique
Seigneur de
qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel
nous devons
être unis, notre unique modèle auquel nous devons
nous conformer,
notre unique pasteur qui doit nous nourrir,
notre unique
voie qui doit nous conduire, notre unique vérité
que nous
devons croire, notre unique vie qui doit nous
vivifier, et
notre unique tout en toutes choses qui doit nous
suffire. Il n'a
point été donné d'autre nom sous le ciel, que
le nom de
Jésus, par lequel nous devions être sauvés. Dieu ne
nous a point
mis d'autre fondement de notre salut, de notre
perfection et
de notre gloire, que Jésus-Christ: tout édifice
qui n'est pas
posé sur cette pierre ferme est fondé sur le
sable mouvant
et tombera infailliblement tôt ou tard. Tout
fidèle qui n'est
pas uni à lui comme une branche au cep de la
vigne, tombera,
séchera et ne sera propre qu'à être jeté au
feu. Si nous
sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous,
nous n'avons
point de damnation à craindre: ni les anges des
cieux, ni les
hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni
aucune autre
créature ne nous peut nuire, parce qu'elle ne
nous peut
séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-
Christ. Par
Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ,
nous pouvons
toutes choses: rendre tout honneur et toute
gloire au
Père, en l'unité du Saint-Esprit; nous rendre
parfaits et
être à notre prochain une bonne odeur de vie
éternelle.
62. Si donc nous
établissons la solide dévotion de la Très
Sainte Vierge,
ce n'est que pour établir plus parfaitement
celle de
Jésus-Christ, ce n'est que pour donner un moyen aisé
et assuré
pour trouver Jésus-Christ. Si la dévotion à la
Sainte Vierge
éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la
rejeter comme
une illusion du diable; mais tant s'en faut
qu'au
contraire, comme j'ai déjà fait voir et ferai voir
encore ci-après:
cette dévotion ne nous est nécessaire que
pour trouver
Jésus-Christ parfaitement et l'aimer tendrement
et le servir
fidèlement.
63. Je me tourne
ici un moment vers vous, ô mon aimable
Jésus, pour
me plaidre amoureusement à votre divine Majesté de
ce que la
plupart des chrétiens, même des plus savants, ne
savent pas la
liaison nécessaire, qui est entre vous et votre
sainte Mère.
Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et
Marie est
toujours avec vous et ne peut être sans vous:
autrement elle
cesserait d'être de qu'elle est; elle est
tellement
transformée en vous par la grâce qu'elle ne vit
plus, qu'elle
n'est plus; c'est vous seul, mon Jésus, qui
vivez et
régnez en elle, plus parfaitement qu'en tous les
anges et les
bienheureux. Ah! si on connaissait la gloire et
l'amour que
vous recevez en cette admirable créature, on
aurait de vous
et d'elle bien d'autres sentiments qu'on n'a
pas. Elle [vous]
est si intimement liée, qu'on séparerait
plutôt la
lumière du soleil, la chaleur du feu; je dis plus,
on séparerait
plutôt tous les anges et les saints de vous, que
la divine
Marie: parce qu'elle vous aime plus ardemment et
vous glorifie
plus parfaitement que toutes vos autres
créatures
ensemble.
64. Après cela,
mon aimable Maître, n'est-ce pas une chose
étonnante et
pitoyable de voir l'ignorance et les ténèbres de
tous les
hommes d'ici-bas à l'égard de votre sainte Mère? Je
ne parle pas
tant des idolâtres et païens, qui, ne vous
connaissant
pas, n'ont garde de la connaître; je ne parle même
pas des
hérétiques et des schismatiques, qui n'ont garde
d'être
dévôts à votre sainte Mère, s'étant séparés de vous et
votre sainte
Eglise; mais je parle des chrétiens catholiques,
et même des
docteurs parmi les catholiques, qui faisant
profession d'enseigner
aux autres les vérités, ne vous
connaissent
pas, ni votre sainte Mère, si ce n'est d'une
manière
spéculative, sèche, stérile et indifférente. Ces
messieurs ne
parlent que rarement de votre sainte Mère et de
la dévotion
qu'on lui doit avoir parce qu'ils craignent,
disent-ils, qu'on
en abuse, qu'on ne vous fasse injure en
honorant trop
votre sainte Mère. S'ils voient ou entendent
quelque
dévôt à la Sainte Vierge parler souvent de la dévotion
à cette bonne
Mère, d'une manière tendre, forte et persuasive,
comme d'un
moyen assuré sans illusion, d'un chemin court sans
danger, d'une
voie immaculée sans imperfections, et d'un
secret
merveilleux pour vous trouver et vous aimer
parfaitement,
ils se récrient contre lui, et lui donnent mille
fausses
raisons pour lui prouver qu'il ne faut pas tant parler
de la Sainte
Vierge, qu'il y a beaucoup d'abus en cette
dévotion, et
qu'il faut s'appliquer à les détruire, et à
parler de vous
plutôt qu'à porter les peuples à la dévotion à
la Sainte
Vierge qu'ils aiment déjà assez.
On les entend
parfois parler de la dévotion à votre
sainte Mère,
non pas pour l'établir et la persuader, mais pour
en détruire
les abus qu'on en fait, tandis que ces messieurs
sont sans
piété et sans dévotion tendre pour vous, parce
qu'ils n'en
ont pas pour Marie, regardant le Rosaire, le
Scapulaire, le
Chapelet, comme des dévotions de femmelettes,
propres aux
ignorants, sans lesquels on peut se sauver; et
s'il tombe en
leurs mains quelque dévôt à la Sainte Vierge,
qui récite
son chapelet ou ait quelque autre pratique de
dévotion
envers elle, ils lui changeront bientôt l'esprit et
le coeur: au
lieu du chapelet, ils lui conseilleront de dire
les sept
psaumes; au lieu de la dévotion à la Sainte Vierge,
ils lui
conseilleront la dévotion à Jésus-Christ.
O mon aimable
Jésus, ces gens ont-il votre esprit? Vous
font-ils
plaisir d'en agir de même? Est-ce vous plaire que de
ne pas faire
tous ses efforts pour plaire à votre Mère, de
peur de vous
déplaire? La dévotion à votre sainte Mère
empêche-t-elle
la vôtre? Est-ce qu'elle s'attribue l'honneur
qu'on lui rend?
Est-ce qu'elle fait bande à part? Est-elle une
étrangère
qui n'a aucune liaison avec vous? Est-ce se séparer
ou s'éloigner
de votre amour que de se donner à elle et de
l'aimer?
65. Cependant, mon
aimable Maître, la plupart des savants,
pour punition
de leur orgueil, n'éloigneraient pas plus de la
dévotion à
votre sainte Mère, et n'en donneraient pas plus
d'indifférence,
que si tout ce que je viens de dire était
vrai. Gardez-moi,
Seigneur, gardez-moi de leurs sentiments et
leurs
pratiques et me donnez quelque part aux sentiments de
reconnaissance,
d'estime, de respect et d'amour que vous avez
à l'égard de
votre sainte Mère, afin que je vous aime et
glorifie d'autant
plus que je vous imiterai et suivrai de plus
près.
66. Comme si jusqu'ici
je n'avais encore rien dit en
l'honneur de
votre sainte Mère, faites-moi la grâce de la
louer
dignement: Fac me digne tuam Matrem collaudare, malgré
tous mes
ennemis, qui sont les vôtres, et que je leur dise
hautement avec
les saints: Non praesumat aliquis Deum se
habere
propitium qui benedictam Matrem offensam habuerit: Que
celui-là ne
présume pas recevoir la miséricorde de Dieu, qui
offense sa
sainte Mère.
67. Pour obtenir
de votre miséricorde une véritable dévotion
à votre
sainte Mère, et pour l'inspirer à toute la terre,
faites que je
vous aime ardemment, et recevez pour cela la
prière
embrasée que je vous fais avec saint Augustin et vos
véritables
amis (tom. 9, operum meditat.):
"Tu es
Christus, pater meus sanctus, Deux meus pius, rex
meus magnus,
pastor meus bonus, magister meus unus, adjutor
meus optimus,
dilectus meus pulcherrimus, panis meus vivus,
sacerdos meus
in aeternum, dux meus ad patriam, lux mea vera,
dulcedo mea
sancta, via mea recta, sapientia mea praeclara,
simplicitas
mea pura, concordia mea pacifica, custodia mea
tota, portio
mea bona, salus mea sempiterna...
"Christe
Jesu, amabilis Domine, cur amavi, quare
concupivi in
omni vita mea quidquam praeter te Jesum Deum
meum? Ubi eram
quando tecum mente non eram? Jam ex hoc nunc,
omnia
desideria mea, incalescite et effluite in Dominum Jesum;
currite, satis
hactenus tardastis; properate quo pergitis;
quaerite quem
quaeritis. Jesu, qui non amat te anathema sit;
qui te non
amat amaritudine repleatur... O dulcis Jesu, te
amet, in te
delectetur, te admiretur omnis sensus bonus tuae
conveniens
laudi. Deux cordis mei et pars mea, Christe Jesu,
deficiat cor
meum spiritu suo, et vivas tu in me, et
concalescat in
spiritu meo vivus carbo amoris tui, et
excrescat in
ignem perfectum; ardeat jugiter in ara cordis
mei, ferveat
in medullis meis, flagret in absconditis animae
meae; in die
consummationis meae consummatus inveniar apud te.
Amen."
J'ai voulu
mettre en latin cette admirable oraison de
saint Augustin,
afin que les personnes qui entendent le latin
la disent tous
les jours pour demander l'amour de Jésus que
nous cherchons
par la divine Marie.
[Nous sommes à Jésus-Christ et à Marie en qualité d'esclaves]
68. Seconde
vérité. - Il faut conclure de ce que Jésus-Christ
est à notre
égard, que nous ne sommes point à nous, comme dit
l'Apôtre,
mais tout entiers à lui, comme ses membres et ses
esclaves qu'il
a achetés infiniment cher, par le prix de tout
son sang.
Avant le baptême, nous étions au diable comme ses
esclaves, et
le baptême nous a rendus les véritables esclaves
de Jésus-Christ,
qui ne doivent vivre, travailler et mourir
que pour
fructifier pour ce Dieu Homme, le glorifier en notre
corps et le
faire régner en notre âme, parce que nous sommes
sa conquête,
son peuple acquis et son héritage. C'est pour la
même raison
que le Saint-Esprit nous compare: 1 à des arbres
plantés le
long des eaux de la grâce, dans le champ de
l'Eglise, qui
doivent donner leurs fruits en leur temps; 2
aux branches d'une
vigne dont Jésus-Christ est le cep, qui
doivent
rapporter de bons raisins; 3 à un troupeau dont
Jésus-Christ
est le pasteur, qui se doit multiplier et donner
du lait; 4 à
une bonne terre dont Dieu est le laboureur, et
dans laquelle
la semence se multiplie et rapporte au
trentuple,
soixantuple ou centuple. Jésus-Christ a donné sa
malédiction
au figuier infructueux, et porté condamnation
contre le
serviteur inutile qui n'avait pas fait valoir son
talent. Tout
cela nous prouve que Jésus-Christ veut recevoir
quelques
fruits de nos chétives personnes, savoir: nos bonnes
oeuvres, parce
que ces bonnes oeuvres lui apartiennent
uniquement:
Creati in operibus bonis in Christo Jesu: Créés
dans les
bonnes oeuvres en Jésus-Christ. Lesquelles paroles du
Saint-Esprit
montrent et que Jésus-Christ est l'unique
principe et
doit être l'unique fin de toutes nos bonnes
oeuvres, et
que nous le devons servir non seulement comme des
serviteurs à
gages, mais comme des esclaves d'amour. Je
m'explique.
69. Il y a deux
manières ici-bas d'appartenir à un autre et
de dépendre
de son autorité, savoir: la simple servitude et
l'esclavage;
ce qui fait que nous appelons un serviteur et un
esclave.
Par la
servitude commune parmi les chrétiens, un homme
s'engage à en
servir un autre pendant un certain temps,
moyennant un
certain gage ou une telle récompense.
Par l'esclavage,
un homme est entièrement dépendant d'un
autre pour
toute sa vie, et doit servir son maître, sans en
prétendre
aucun gage ni récompense comme une de ses bêtes sur
laquelle il a
droit de vie et de mort.
70. Il y a trois
sortes d'esclavages: un esclavage de
nature, un
esclavage de contrainte et un esclavage de volonté.
Toutes les
créatures sont esclaves de Dieu en la première
manière:
Domini est terra et plenitudo ejus; les démons et les
damnés en la
seconde; les justes et les saints le sont en la
troisième. L'esclavage
de volonté est le plus parfait et le
plus glorieux
à Dieu, qui regarde le coeur, et qui demande le
coeur, et qui
s'appelle le Dieu du coeur, ou de la volonté
amoureuse,
parce que, par cet esclavage, on fait choix, par-
dessus toutes
choses, de Dieu et de son service, quand même la
nature n'y
obligerait pas.
71. Il y a une
totale différence entre un serviteur et un
esclave:
1 Un serviteur
ne donne pas tout ce qu'il est et tout ce
qu'il possède
et tout ce qu'il peut acquérir par autrui ou par
soi-même, à
son maître; mais l'esclave se donne tout entier,
tout ce qu'il
possède et tout ce qu'il peut acquérir, à son
maître, sans
aucune exception.
2 Le serviteur
exige des gages pour les services qu'il
rend à son
maître, mais l'esclave n'en peut rien exiger,
quelque
assiduité, quelque industrie, quelque force qu'il ait
à travailler.
3 Le serviteur
peut quitter son maître quand il voudra,
ou du moins
quand le temps de son service sera expiré; mais
l'esclave n'est
pas en droit de quitter son maître quand il
voudra.
4 Le maítre
du serviteur n'a sur lui aucun droit de vie
et de mort, en
sorte que s'il le tuait, comme une de ses bêtes
de charge, il
commettrait un homicide injuste; mais le maître
de l'esclave a,
par les lois, droit de vie et de mort sur lui,
en sorte qu'il
peut le vendre à qui il voudra, ou le tuer,
comme, sans
comparaison, il ferait [de] son cheval.
5 Enfin, le
serviteur n'est que pour un temps au service
d'un maître,
et l'esclave pour toujours.
72. Il n'y a rien
parmi les hommes qui nous fasse plus
appartenir à
un autre que l'esclavage; il n'y a rien aussi
parmi les
chrétiens qui nous fasse plus absolument appartenir
à Jésus-Christ
et à sa sainte Mère que l'esclavage de volonté,
selon l'exemple
de Jésus-Christ même, qui a pris la forme
d'esclave pour
notre amour: Formam servi accipiens, et de la
Sainte Vierge,
qui s'est dite la servante et l'esclave du
Seigneur. L'Apôtre
s'appelle par honneur servus Christi. Les
chrétiens
sont appelés plusieurs fois dans l'Ecriture sainte
servi Christi;
lequel mot de servus, selon la remarque
véritable qu'a
faite un grand homme, ne signifiait autrefois
qu'un esclave,
parce qu'il n'y avait point encore de
serviteurs
comme ceux d'aujourd'hui, les maîtres n'étant servi
que par des
esclaves ou affranchis: ce que le Catéchisme du
saint Concile
de Trente, pour ne laisser aucun doute que nous
soyons
esclaves de Jésus-Christ, exprime par un terme qui
n'est point
équivoque, en nous appelant mancipia Christi:
esclave de
Jésus-Christ. Cela posé:
73. Je dis que
nous devons être à Jésus-Christ et le servir,
non seulement
comme des serviteurs mercenaires, mais comme des
esclaves
amoureux, qui par un effet d'un grand amour, se
donnent et se
livrent à le servir en qualité d'esclaves, pour
l'honneur seul
de lui appartenir. Avant le baptême, nous
étions
esclaves du diable; le baptême nous a rendus esclaves
de Jésus-Christ:
ou il faut que les chrétiens soient esclaves
du diable, ou
esclaves de Jésus-Christ.
74. Ce que je dis
absolument de Jésus-Christ, je le dis
relativement
de la Sainte Vierge, que Jésus-Christ, ayant
choisie pour
compagne indissoluble de sa vie, de sa mort, de
sa gloire et
de sa puissance au ciel et sur la terre, lui a
donné par
grâce, relativement à sa Majesté, tous les mêmes
droits et
privilèges qu'il possède par nature: Quidquid Deo
convenit per
naturam, Mariae convenit per gratiam: Tout ce qui
convient à
Dieu par nature, convient à Marie par grâce, disent
les saints; en
sorte que, selon eux, n'ayant tous deux que la
même volonté
et la même puissance, ils ont tous deux les mêmes
sujets,
serviteurs et esclaves.
75. On peut donc,
suivant le sentiment des saints et de
plusieurs
grands hommes, se dire et se faire l'esclave
amoureux de la
Très Sainte Vierge, afin d'être par là plus
parfaitement
esclave de Jésus-Christ. La Sainte Vierge est le
moyen dont
Notre-Seigneur s'est servi pour venir à nous; c'est
aussi le moyen
dont nous devons nous servir pour aller à lui,
car elle n'est
pas comme les autres créatures, auxquelles si
nous nous
attachions, elles pourraient plutôt nous éloigner de
Dieu que de
nous en approcher; mais la plus forte inclination
de Marie est
de nous unir à Jésus-Christ, son Fils, et la plus
forte
inclination du Fils est qu'on vienne à lui par sa sainte
Mère; et c'est
lui faire honneur et plaisir, comme ce serait
faire honneur
et plaisir à un roi si, pour devenir plus
parfaitement
son sujet et son esclave, on se faisait esclave
de la reine. C'est
pourquoi les saints Pères et saint
Bonaventure
après eux, disent que la Sainte Vierge est le
chemin pour
aller à Notre-Seigneur: Via veniendi ad Christum
est
appropinquare ad illam (In psalt. min.).
76. De plus, si,
comme j'ai dit, la Sainte Vierge est la
Reine et
souveraine du ciel et de la terre: Ecce imperio Dei
omnia
subjiciuntur et Virgo; ecce imperio Virginis omnia
subjiciuntur
et Deus, disent saint Anselme, saint Bernard,
saint
Bernardin, saint Bonaventure, n'a-t-elle pas autant de
sujets et d'esclaves
qu'il y a de créatures? N'est-il pas
raisonnable
que parmi tant d'esclaves de contrainte, il y en
ait d'amour
qui, par une bonne volonté, choisissent, en
qualité d'esclaves,
Marie pour leur souveraine? Quoi! les
hommes et les
démons auront leurs esclaves volontaires, et
Marie n'en
aurait point? Quoi! un roi tiendra à honneur que la
reine, sa
compagne, ait des esclaves sur qui elle ait droit de
vie et de mort,
parce que l'honneur et la puissance de l'un
est l'honneur
et la puisance et l'autre; et on [pourrait]
croire [que]
Notre-Seigneur qui, comme le meilleur de tous les
fils, a fait
part de toute sa puissance à sa sainte Mère,
trouve mauvais
qu'elle ait des esclaves? A-t-il moins de
respect et d'amour
pour sa Mère qu'Assuérus pour Esther et que
Salomon pour
Bethsabée? Qui oserait le dire et même le penser?
77. Mais où est-ce
que ma plume me conduit? Pourquoi est-ce
que je m'arrête
ici à prouver une chose si visible. Si on ne
veut pas qu'on
se dise esclave de la Sainte Vierge,
qu'importe! Qu'on
se fasse et qu'on se dise esclave de Jésus-
Christ! C'est
l'être de la Sainte Vierge, puisque Jésus-Christ
est le fruit
et la gloire de Marie. C'est ce qu'on fait
parfaitement
par la dévotion dont nous parlerons dans la
suite.
[«Nous devons nous vider de ce qu'il y a de mauvais en nous»]
78. Troisième
vérité. - Nos meilleures actions sont
ordinairement
souillées et corrompues par le mauvais fond qui
est en nous.
Quand on met de l'eau nette et claire dans un
vaisseau qui
sent mauvais, ou du vin dans une pipe dont le
dedans est
gâté par un autre vin qu'il y a eu dedans, l'eau
claire et le
bon vin en est gâté et prend aisément la mauvaise
odeur. De
même, quand Dieu met dans le vaiseau de notre âme,
gâté par le
péché originel et actuel, ses grâces et rosées
celestes ou le
vin délicieux de son amour, ses dons sont
ordinairement
gâtés et souillés par le mauvais levain et le
mauvais fond
que le péché a laissé en nous; nos actions, même
des vertus les
plus sublimes, s'en sentent. Il est donc d'une
très grande
importance, pour acquérir la perfection, qui ne
s'acquiert que
par l'union à Jésus-Christ, de nous vider de ce
qu'il y a de
mauvais en nous: autrement, Notre-Seigneur, qui
est infiniment
pur et qui hait infiniment la moindre souillure
dans l'âme,
nous rejettera de devant ses yeux et ne s'unira
point à nous.
79. Pour nous
vider de nous-mêmes, il faut, premièrement,
bien
connaître, par la lumière du Saint-Esprit, notre mauvais
fond, notre
incapacité à tout bien utile au salut, notre
faiblesse en
toutes choses, notre inconstance en tout temps,
notre
indignité de toute grâce, et notre iniquité en tout
lieu. Le
péché de notre premier père nous a tous presque
entièrement
gâtés, aigris, élevés et corrompus, comme le
levain aigrit,
élève et corrompt la pâte où il est mis. Les
péchés
actuels que nous avons commis, soit mortels, soit
véniels,
quelque pardonnés qu'ils soient, ont augmenté notre
concupiscence,
notre faiblesse, notre inconstance et notre
corruption, et
ont laissé de mauvais restes dans notre âme.
Nos corps sont
si corrompus, qu'ils sont appelés par le
Saint-Esprit
corps du péché, conçus dans le péché, nourris
dans le
péché et capable de tout, corps sujets à mille et
mille maladies,
qui se corrompent de jour en j our, et qui
n'engendrent
que de la gale, de la vermine et de la
corruption.
Notre âme,
unie à notre corps, est devenue si charnelle,
qu'elle est
appelée chair: Toute chair avait corrompu sa voie.
Nous n'avons
pour partage que l'orgueil et l'aveuglement dans
l'esprit, l'endurcissement
dans le coeur, la faiblesse et
l'inconstance
dans l'âme, la concupiscence, les passions
révoltées et
les maladies dans le corps. Nous sommes
naturellement
plus orgueilleux que des paons, plus attachés à
la terre que
des crapauds, plus vilains que des boucs, plus
envieux que
des serpents, plus gourmands que des cochons, plus
colères que
des tigres et plus paresseux que des tortues, plus
faibles que
des roseaux, et plus inconstants que des
girouettes.
Nous n'avons dans notre fond que le néant et le
péché, et
nous ne méritons que l'ire de Dieu et l'enfer
éternel.
80. Après cela,
faut-il s'étonner si Notre-Seigneur a dit que
celui qui
voulait le suivre devait renoncer à soi-même et haïr
son âme; que
celui qui aimerait sa vie la perdrait et que
celui qui la
haïrait la sauverait? Cette Sagesse infinie, qui
ne donne pas
des commandemaents sans raison, ne nous ordonne
de nous haïr
nous-mêmes que parce que nous sommes grandement
dignes de
haine: rien de si digne d'amour que Dieu, rien de si
digne de haine
que nous-mêmes.
81. Secondement,
pour nous vider de nous-mêmes, il faut tous
les jours
mourir à nous-mêmes: c'est-à-dire qu'il faut
renoncer aux
opérations des puissances de notre âme et des
sens du corps,
qu'il faut voir comme si on ne voyait point,
entendre comme
si on n'entendait point, se servir des choses
de ce monde
comme si on ne s'en servait point, ce que saint
Paul appelle
mourir tous les jours: Quotidie morior! Si le
grain de
froment tombant en terre ne meurt, il demeure terre
et ne produit
point de fruit qui soit bon: Nisi granum
frumenti
cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet.
Si nous ne
mourons à nous-mêmes, et si nos dévotions les plus
saintes ne
nous portent à cette mort nécessaire et féconde,
nous ne
porterons point de fruit qui vaille, et nos dévotions
nous
deviendront inutiles, toutes nos justices seront
souillées par
notre amour-propre et notre propre volonté, ce
qui fera que
Dieu aura en abomination les plus grands
sacrifices et
les meilleures actions que nous puissions faire;
et qu'à notre
mort nous nous trouverons les mains vides de
vertus et de
mérites, et que nous n'aurons pas une étincelle
du pur amour,
qui n'est communiqué qu'aux âmes dont la vie est
cachée avec
Jésus-Christ en Dieu.
82. Troisièmement,
il faut choisir parmi toutes les dévotions
à la Très
Sainte Vierge celle qui nous porte le plus à cette
mort à nous-mêmes,
comme étant la meilleure et la plus
sanctifiante;
car il ne faut pas croire que tout ce qui reluit
soit or, que
tout ce qui est doux soit miel, et que tout ce
qui est aisé
à faire et pratiqué du plus grand nombre soit le
plus
sanctifiant. Comme il y a des secrets de nature pour
faire en peu
de temps, à peu de frais et avec facilité
certaines
opérations naturelles, de même il y a des secrets
dans l'ordre
de la grâce pour faire en peu de temps, avec
douceur et
facilité, des opérations surnaturelles: se vider de
soi-même, se
remplir de Dieu, et devenir parfait.
La pratique
que je veux vous découvrir est un de ces
secrets de
grâce, inconnu du grand nombre des chrétiens, connu
de peu de
dévôts, et pratiqué et goûté d'un bien plus petit
nombre. Pour
commencer à découvrir cette pratique, voici une
quatrième
vérité qui est une suite de la troisième.
[«Nous avons besoin d'un médiateur auprès du Médiateur même»]
83. Quatrième
vérité. - Il est plus parfait, parce qu'il est
plus humble,
de n'approcher pas de Dieu par nous-mêmes, sans
prendre un
médiateur. Notre fond, comme je viens de montrer,
étant si
corrompu, si nous nous appuyons sur nos propres
travaux,
industries, préparations, pour arriver à Dieu et lui
plaire, il est
certain que toutes nos justices seront
souillées, ou
de peu de poids devant Dieu, pour l'engager à
s'unir à nous
et à nous exaucer. Car ce n'est pas sans raison
que Dieu nous
a donné des médiateurs auprès de sa Majesté: il
a vu notre
indignité et incapacité, il a eu pitié de nous, et,
pour nous
donner accès à ses miséricordes, il nous a pourvu
des
intercesseurs puissants auprès de sa grandeur; en sorte
que négliger
ces médiateurs, et s'approcher directement de sa
sainteté, c'est
manquer de respect envers un Dieu si haut et
si saint; c'est
moins faire de cas de ce Roi des rois qu'on ne
ferait d'un
roi ou d'un prince de la terre, duquel on ne
voudrait pas
approcher sans quelque ami qui parlât pour soi.
84. Notre-Seigneur
est notre avocat et notre médiateur de
rédemption
auprès de Dieu le Père; c'est par lui que nous
devons prier
avec toute l'Eglise triomphante et militante;
c'est par lui
que nous avons accès auprès de sa Majesté, et
nous ne devons
jamais paraître devant lui qu'appuyés et
revêtus de
ses mérites, comme le petit Jacob des peaux de
chevreaux
devant son père Isaac, pour recevoir sa bénédiction.
85. Mais n'avons-nous
point besoin d'un médiateur auprès du
Médiateur
même? Notre pureté est-elle assez grande pour nous
unir
directement à lui, et par nous-mêmes! N'est-il pas Dieu,
en toutes
choses égal à son Père, et par conséquent le Saint
des saints,
aussi digne de respect que son Père? Si, par sa
charité
infinie, il s'est fait notre caution et notre
médiateur
auprès de Dieu son Père, pour l'apaiser et lui payer
ce que nous
lui devions, faut-il pour cela que nous ayons
moins de
respect et de crainte pour sa majesté et sa sainteté?
Disons donc
hardiment, avec saint Bernard, que nous avons
besoin d'un
médiateur auprès du Médiateur même, et que la
divine Marie
est celle qui est la plus capable de remplir cet
office
charitable; c'est par elle que Jésus-Christ nous est
venu, et c'est
par elle que nous devons aller à lui. Si nous
craignons d'aller
directement à Jésus-Christ, ou à cause de
sa grandeur
infinie, ou à cause de notre bassesse, ou à cause
de nos
péchés, implorons hardiment l'aide et l'intercession de
Marie notre
Mère: elle est bonne, elle est tendre; il n'y a en
elle rien d'austère
ni rebutant, rien de trop sublime et de
trop brillant;
en la voyant, nous voyons notre pure nature.
Elle n'est pas
le soleil, qui, par la vivacité de ses rayons,
pourrait nous
éblouir à cause de notre faiblesse; mais elle
est belle et
douce comme la lune, qui reçoit la lumière du
soleil et la
tempère pour la rendre conforme à notre petite
portée. Elle
est si charitable qu'elle ne rebute personne de
ceux qui
demandent son intercession, quelque pécheurs qu'ils
soient; car,
comme disent les saints, il n'a jamais été ouï
dire, depuis
que le monde est monde, qu'aucun ait eu recours à
la Sainte
Vierge avec confiance et persévérance, et en ait été
rebuté. Elle
est si puissante que jamais elle n'a été refusée
dans ses
demandes; elle n'a qu'à se montrer devant son Fils
pour le prier:
aussitôt il accorde, aussitôt il reçoit; il est
toujours
amoureusement vaincu par les mamelles et les
entrailles et
les prières de sa très chère Mère.
86. Tout ceci est
tiré de saint Bernard et de saint
Bonaventure;
en sorte que, selon eux, nous avons trois degrés
à monter pour
aller à Dieu: le premier, qui est le plus proche
de nous et le
plus conforme à notre capacité, est Marie; le
second est
Jésus-Christ; et le troisième est Dieu le Père.
Pour aller à
Jésus, il faut aller à Marie, c'est notre
médiatrice d'intercession;
pour aller au Père éternel, il faut
aller à
Jésus, c'est notre médiateur de rédemption. Or, par la
dévotion que
je dirai ci-après, c'est l'ordre qu'on garde
parfaitement.
[«Il nous est
très difficile de conserver les grâces et les
trésors
reçus de Dieu»]
87. Cinquième
vérité. - Il est très difficile, vu notre
faiblesse et
fragilité, que nous conservions en nous les
grâces et les
trésors que nous avons reçus de Dieu:
1 Parce que
nous avons ce trésor, qui vaut mieux que le
ciel et la
terre, dans des vases fragiles: Habemus thesaurum
istum in vasis
fictilibus, dans un corps corruptible, dans une
âme faible et
inconstante, qu'un rien trouble et abat.
88. 2 Parce que
les démons, qui sont de fins larrons,
veulent nous
surprendre à l'impourvu pour nous voler et
dévaliser;
ils épient jour et nuit le moment favorable pour
cela; ils
tournoient incessamment pour nous dévorer, et nous
enlever en un
moment, par un péché, tout ce que nous avons pu
gagner de
grâces et de mérites en plusieurs années. Leur
malice, leur
expérience, leurs ruses et leur nombre doivent
nous faire
infiniment craindre ce malheur, vu que des
personnes plus
pleines de grâces, plus riches en vertus, plus
fondées en
expérience et plus élevées en sainteté, ont été
surprises,
volées et pillées malheureusement. Ah! combien a-t-
on vu de
cèdres du Liban et d'étoiles du firmament tomber
misérablement
et perdre toute leur hauteur et leur clarté en
peu de temps!
D'où vient cet étrange changement? Ce n'a pas
été faute de
grâce, qui ne manque à personne, mais faute
d'humilité:
ils se sont crus capables de garder leurs trésors;
ils se sont
fiés et appuyés sur eux-mêmes; ils ont cru leur
maison assez
sûre, et leurs coffres assez forts pour garder le
précieux
trésor de la grâce, et c'est à cause de cet appui
imperceptible
qu'ils avaient en eux-mêmes (quoiqu'il leur
semblât qu'ils
s'appuyaient uniquement sur la grâce de Dieu),
que le
Seigneur très juste a permis qu'ils ont été volés, en
les
délaissant à eux-mêmes. Hélas! s'ils avaient connu la
dévotion
admirable que je montrerai dans la suite, ils
auraient
confié leur trésor à une Vierge puissante et fidèle,
qui le leur
aurait gardé comme son bien propre, et même s'en
serait fait un
devoir de justice.
89. 3 Il est
difficile de persévérer dans la justice à cause
de la
corruption étrange du monde. Le monde est maintenant si
corrompu qu'il
est comme nécessaire que les coeurs religieux
en soient
souillés, sinon par sa boue, du moins par sa
poussière; en
sorte que c'est une espèce de miracle quand une
personne
demeure ferme au milieu de ce torrent impétueux sans
être
entraînée, au milieu de cette mer orageuse sans être
submergée ou
pillée par les pirates et les corsaires, au
milieu de cet
air empesté, sans en être endommagée; c'est la
Vierge
uniquement fidèle dans laquelle le serpent n'a jamais
eu de part,
qui fait ce miracle à l'égard de ceux et celles
[qui l'aiment]
de la belle manière.
[B. MARQUES DE LA VERITABLE DEVOTION A MARIE]
90. Ces cinq
vérités présupposeées, il faut maintenant plus
que jamais
faire un bon choix de la vraie dévotion à la Très
Sainte Vierge:
car il y a plus que jamais de fausses
dévotions à
la Sainte Vierge, qu'il est facile de prendre pour
de véritables
dévotions. Le diable, comme un faux monnayeur et
un trompeur
fin et expérimenté, a déjà tant trompé et damné
d'âmes par
une fausse dévotion à la Très Sainte Vierge, qu'il
se sert tous
les jours de son expérience diabolique pour en
damner
beaucoup d'autres, en les amusant et endormant dans le
péché, sous
prétexte de quelques prières mal dites et de
quelques
pratiques extérieures qu'il leur inspire. Comme un
faux monnayeur
ne contrefait ordinairement que l'or et
l'argent et
fort rarement les autres métaux, parce qu'ils n'en
valent pas la
peine, ainsi l'esprit malin ne contrefait pas
tant les
autres dévotions que celles de Jésus et de Marie, la
dévotion à
la Sainte Communion et la dévotion à la Sainte
Vierge, parce
qu'elles sont, parmi les autres dévotions, ce
que sont l'or
et l'argent parmi les métaux.
91. Il est donc
très important de connaître, premièrement,
les fausses
dévotions à la Très Sainte Vierge pour les éviter,
et la
véritable pour l'embrasser; secondement, parmi tant de
pratiques
différentes de la vraie dévotion à la Sainte
Vierge, quelle
est la plus parfaite, la plus agréable à la
Sainte Vierge,
la plus glorieuse à Dieu et la plus
sanctifiante
pour nous, afin de nous y attacher.
[1. «FAUX DEVOTS ET FAUSSES DEVOTIONS A LA SAINTE VIERGE»]
92. Je trouve sept
sortes de faux dévots et de fausses
dévotions à
la Sainte Vierge, savoir: 1 les dévots critiques;
2 les dévots
scrupuleux; 3 les dévots extérieurs; 4 les
dévots
présomptueux; 5 les dévots insconstants; les dévots
hypocrites; 7
les dévots intéressés.
[1. «Les dévots ctritiques»]
93. Les dévots
critiques sont, pour l'ordinaire, des savants
orgueilleux,
des esprits forts et suffisants, qui ont au fond
quelque
dévotion à la Sainte Vierge, mais qui critiquent
presque toutes
les pratiques de dévotion à la Sainte Vierge
que les gens
simples rendent simplement et saintement à cette
bonne Mère,
parce qu'elles ne reviennent pas à leur fantaisie.
Ils révoquent
en doute tous les miracles et histoires
rapportés par
des auteurs dignes de foi, ou tirés des
chroniques des
ordres religieux, qui font foi des miséricordes
et de la
puissance de la Très Sainte Vierge. Ils ne sauraient
voir qu'avec
peine des gens simples et humbles à genoux devant
un autel ou
image de la Sainte Vierge, quelquefois dans le
coin d'une rue
pour y prier Dieu; et ils les accusent
d'idolâtrie,
comme s'ils adoraient le bois ou la pierre; ils
disent que,
pour eux, ils n'aiment point ces dévotions
extérieures
et qu'ils n'ont pas l'esprit si faible que
d'ajouter foi
à tant de contes et historiettes qu'on débite de
la Sainte
Vierge. Quand on leur rapporte les louanges
admirables que
les saints Pères donnent à la Sainte Vierge, ou
ils répondent
qu'ils ont parlé en orateurs, par exagération,
ou ils donnent
une mauvaise explication à leurs paroles.
Ces sortes de
faux dévots et de gens orgueilleux et
mondains sont
beaucoup à craindre et ils font un tort infini à
la dévotion
à la Très Sainte Vierge, et en éloignent les
peuples d'une
manière efficace, sous prétexte d'en détruire
les abus.
[2. «Les dévots scrupuleux»]
94. Les devôts
scrupuleux sont des gens qui craignent de
déshonorer le
Fils en honorant la Mère, d'abaisser l'un en
élevant l'autre.
Ils ne sauraient souffrir qu'on donne à la
Sainte Vierge
des louanges très justes, que lui ont données
les saints
Pères; ils ne souffrent qu'avec peine qu'il y ait
plus de monde
à genoux devant un autel de la Sainte Vierge que
devant le
Saint-Sacrement, come si l'un était contraire à
l'autre; comme
si ceux qui prient la Sainte Vierge ne priaient
pas Jésus-Christ!
Ils ne veulent pas qu'on parle si souvent de
la Sainte
Vierge et qu'on s'adresse si souvent à elle.
Voici quelques
sentences qui leur sont ordinaires: A quoi
bon tant de
chapelets, tant de confréries et de dévotions
extérieures
à la Sainte Vierge. Il y a en cela bien de
l'ignorance. C'est
faire une mômerie de notre religion.
Parlez-moi de
ceux qui sont dévots à Jésus-Christ (ils le
nomment
souvent sans se découvrir, je le dis par parenthèse):
il faut
recourir à Jésus-Christ, il est notre unique
médiateur; il
faut prêcher Jésus-Christ, voilà le solide!
Ce qu'ils
disent est vrai dans un sens; mais par rapport
à l'application
qu'ils en font, pour empêcher la dévotion à la
Très Sainte
Vierge, il est très dangereux, et un fin piège du
malin, sous
prétexte d'un plus grand bien; car jamais on
n'honore plus
Jésus-Christ que lorsqu'on honore plus la Très
Sainte Vierge,
puisqu'on ne l'honore qu'afin d'honorer plus
parfaitement
Jésus-Christ, puisqu'on ne va à elle que comme à
la voie pour
trouver le terme où on va, qui est Jésus.
95. La Sainte
Eglise, avec le Saint-Esprit, bénit la Sainte
Vierge la
première, et Jésus-Christ le second: Benedicta tu in
mulieribus, et
benedictus fructus ventris tui, Jesus. Non pas
parce que la
Sainte Vierge soit plus que Jésus-Christ ou égale
à lui: ce
serait une hérésie intolérable; mais c'est que pour
bénir plus
parfaitement Jésus-Christ, il faut auparavant bénir
Marie. Disons
donc avec tous les vrais dévots de la Sainte
Vierge, contre
ses faux dévots scrupuleux: O Marie, vous êtes
bénie entre
toutes les femmes, et béni est le fruit de votre
ventre, Jésus.
[3. «Les dévots extérieurs»]
96. Les dévots
extérieurs sont des personnes qui font
consister
toute la dévotion à la Très Sainte Vierge en des
pratiques
extérieures; qui ne goûtent que l'extérieur de la
dévotion à
la Très Sainte Vierge, parce qu'ils n'ont point
d'esprit
intérieur; qui diront force chapelet à la hâte,
entendront
plusieurs messes sans attention, iront aux
processions
sans dévotion, se mettront de toutes ses
confréries
sans amendement de leur vie, sans violence à leurs
passions et
sans imitation des vertus de cette Vierge très
sainte. Ils n'aiment
que le sensible de la dévotion, sans en
goûter le
solide; s'ils n'ont pas de sensibilités dans leurs
pratiques, ils
croient qu'ils ne font plus rien, ils se
détractent,
ils quittent tout cela, ou il font tout à baton
rompu. Le
monde est plein de ces sortes de dévots extérieurs,
et il n'y a
pas de gens plus critiques des personnes d'oraison
qui s'appliquent
à l'intérieur comme à l'essentiel, sans
mépriser l'extérieur
de modestie qui accompagne toujours la
vraie
dévotion.
[4. «Les dévots présomptueux»]
97. Les dévots
présomptueux sont des pécheurs abandonnés à
leurs passions,
ou des amateurs du monde, qui, sous le beau
nom de
chrétien et de dévot à la Sainte Vierge, cachent ou
l'orgueil, ou
l'avarice, ou l'impureté, ou l'ivrognerie, ou la
colère, ou le
jurement, ou la médisance, ou l'injustice, etc.;
qui dorment en
paix dans leurs mauvaises habitudes, sans se
faire beaucoup
de violence pour se corriger, sous prétexte
qu'ils sont
dévots à la Vierge; qui se promettent que Dieu
leur
pardonnera, qu'ils ne mourront pas sans confession, et
quils ne
seront pas damnés, parce qu'ils disent leur chapelet,
parce qu'ils
jeûnent le samedi, parce qu'ils sont de la
confrérie du
Saint Rosaire ou Scapulaire, ou de ses
congrégations,
parce qu'ils portent le petit habit ou la
petite chaîne
de la Sainte Vierge, etc.
Quand on leur
dit que leur dévotion n'est qu'une illusion
du diable et
qu'une présomption pernicieuse capable de les
perdre, ils ne
le veulent pas croire; ils disent que Dieu est
bon et
miséricordieux; qu'il ne nous a pas faits pour nous
damner; qu'il
n'y a homme qui ne pèche; qu'ils ne mourront pas
sans
confession; qu'un bon peccavi à la mort suffit; de plus
qu'ils sont
dévots à la Sainte Vierge; qu'ils portent le
scapulaire; qu'ils
disent tous les jours sans reproche et sans
vanité sept
Pater et sept Ave en son honneur; qu 'ils disent
même
quelquefois le chapelet et l'office de la Sainte Vierge;
qu'ils
jeûnent, etc. Pour confirmer ce qu'ils disent et
s'aveugler
davantage, ils apportent quelques histoires qu'ils
ont entendues
ou lues en des livres, vraies ou fausses,
n'importe pas,
qui font foi que des personnes mortes en péché
mortel, sans
confession, parce qu'elles avaient, pendant leur
vie, dit
quelques prières ou fait quelques pratiques de
dévotion à
la Sainte Vierge, ou ont été ressucitées pour se
confesser, ou
leur âme a demeuré miraculeusement dans leur
corps jusqu'à
la confession, ou par la miséricorde de la
Sainte Vierge,
ont obtenu de Dieu, à leur mort, la contrition
et le pardon
de leur péchés, et par là ont été sauvés, et
qu'ils
espèrent la même chose.
98. Rien n'est si
damnable, dans le christianisme, que cette
présomption
diabolique; car peut-on dire avec vérité qu'on
aime et qu'on
honore la Sainte Vierge, lorsque, par ses
péchés, on
pique, on perce, on crucifie et on outrage
impitoyablement
Jésus-Christ son Fils? Si Marie se faisait une
loi de sauver
par sa miséricorde ces sortes de gens, elle
autoriserait
le crime, elle aiderait à crucifier et outrager
son Fils; qui
l'oserait jamais penser?
99. Je dis qu'abuser
ainsi de la dévotion à la Très Sainte
Vierge, qui,
après la dévotion à Notre-Seigneur au Très Saint-
Sacrement, est
la plus sainte et la plus solide, c'est
commettre un
horrible sacrilège, qui, après le sacrilège de
l'indigne
communion, est le plus grand et le moins
pardonnable.
J'avoue que,
pour être vraiment dévot à la Sainte Vierge,
il n'est pas
absolument nécessaire d'être si saint qu'on évite
tout péché,
quoiqu'il fût à souhaiter; mais il faut du moins
(qu'on
remarque bien ce que je vais dire):
Premièrement
être dans une sincère résolution d'éviter au
moins tout
péché mortel, qui outrage la Mère aussi bien que le
Fils;
Secondement se
faire violence pour éviter le péché;
Troisièmement,
se mettre des confréries, réciter le
chapelet, le
saint rosaire ou autres prières, jeûner le
samedi, etc.
100. Cela est
merveilleusement utile à la conversion d'un
pécheur,
même endurci; et si mon lecteur est tel, et quand il
aurait un pied
dans l'abîme, je le lui conseille, mais à
condition qu'il
ne pratiquera ces bonnes oeuvres que dans
l'intention d'obtenir
de Dieu, par l'intercession de la Sainte
Vierge, la
grâce de la contrition et du pardon de ses péchés,
et de vaincre
ses mauvaises habitudes, et non pas pour
demeurer
paisiblement dans l'état du péché, contre les remords
de sa
conscience, l'exemple de Jésus-Christ et des saints, et
les maximes du
saint Evangile.
[5. «Les dévots inconstants»]
101. Les dévots
inconstants sont ceux qui sont dévots à la
Sainte Vierge
par intervalles et par boutades: tantôt ils sont
fervents et
tantôt ils sont tièdes, tantôt ils paraissent
prêts de tout
faire pour son service, et puis, peu après, ils
ne sont plus
les mêmes. Ils embrasseront d'abord toutes les
dévotions de
la Sainte Vierge; il se mettront de ses
confréries,
et puis il n'en pratiquent point les règles avec
fidélité;
ils changent comme la lune, et Marie les met sous
ses pieds,
avec le croissant, parce qu'ils sont changeants et
indignes d'être
comptés parmi les serviteurs de cette Vierge
fidèle, qui
ont la fidélité et la constance pour partage. Il
vaut mieux ne
pas se charger de tant de prières et pratiques
de dévotion,
et en faire peu avec amour et fidélité, malgré le
monde, le
diable et la chair.
[6. «Les dévots hypocrites»]
102. Il y a encore
de faux dévots à la Sainte Vierge, qui sont
des dévots
hypocrites, qui couvrent leurs péchés et leurs
mauvaises
habitudes sous le manteau de cette Vierge fidèle,
afin de passer
aux yeux des hommes pour ce qu'ils ne sont pas.
[7. «Les dévots intéressés»]
103. Il y a encore
des dévots intéressés, qui ne recourent à
la Sainte
Vierge que pour gagner quelque procès, pour éviter
quelque péril,
pour guérir d'une maladie, ou pour quelque
autre besoin
de la sorte, sans quoi ils l'oublieraient; et les
uns et les
autres sont de faux dévots, qui ne sont point de
mise devant
Dieu ni sa sainte Mère.
104. Prenons donc
bien garde d'être du nombre des dévots
critiques, qui
ne croient rien et critiquent tout; des dévots
scrupuleux,
qui craignent d'être trop dévots à la Sainte
Vierge, par
respect à Jésus-Christ; des dévots extérieurs, qui
font consister
toute leur dévotion en des pratiques
extérieures;
des dévots présomptueux, qui, sous prétexte de
leur fausse
dévotion à la Sainte Vierge, croupissent dans
leurs péchés;
des dévots inconstants, qui, par légèreté,
changent leurs
pratiques de dévotion, ou les quittent tout à
fait à la
moindre tentation; des dévots hypocrites, qui se
mettent des
confréries et portent les livrées de la Sainte
Vierge afin de
passer pour bons; et enfin des dévots
intéressés,
qui n'ont recours à la Sainte Vierge que pour être
délivrés des
maux du corps ou obtenir des biens temporels.
[2. MARQUES DE LA VERITABLE DEVOTION A LA SAINTE VIERGE]
105. Après avoir
découvert et condamné les fausses dévotions à
la Sainte
Vierge, il faut en peu de mots établir la véritable,
qui est: 1
intérieure; 2 tendre; 3 sainte; 4 constante et
5
désintéressée.
[1. «La vraie dévotion est intérieure»]
106. Premièrement,
la vraie dévotion à la Sainte Vierge est
intérieure, c'est-à-dire
elle part de l'esprit et du coeur,
elle vient de
l'estime qu'on fait de la Sainte Vierge, de la
haute idée qu'on
s'est formée de ses grandeurs, de l'amour
qu'on lui
porte.
[2. «La vraie dévotion est tendre»]
107. Secondement,
elle est tendre, c'est-à-dire pleine de
confiance en
la Très Sainte Vierge, comme d'un enfant dans sa
bonne mère.
Elle fait qu'une âme recourt à elle en tous ses
besoin de
corps et d'esprit, avec beaucoup de simplicité, de
confiance et
de tendresse; elle implore l'aide de sa bonne
Mère en tout
temps, en tout lieu et en toute chose: dans ses
doutes, pour
être redressée; dans ses tentations, pour être
soutenue; dans
ses faiblesses, pour être fortifiée; dans ses
chutes, pour
être relevée; dans ses découragements, pour être
encouragée;
dans ses scrupules, pour en être ôtée; dans ses
croix, travaux
et traverses de la vie, pour être consolée.
Enfin, en tous
ses maux de corps et d'esprit, Marie est son
recours
ordinaire, sans crainte d'importuner cette bonne Mère
et de
déplaire à Jésus-Christ.
[3. «La vraie dévotion est sainte»]
108.
Troisièmement, la vraie dévotion à la Sainte Vierge est
sainte, c'est-à-dire
qu'elle porte une âme à éviter le péché
et imiter les
vertus de la Très Sainte Vierge,
particulièrement
son humilité profonde, sa foi vive, son
obéissance
aveugle, son oraison continuelle, sa mortification
universelle,
sa pureté divine, sa charité ardente, sa patience
héroïque, sa
douceur angélique et sa sagesse divine. Ce sont
les dix
principales vertus de la Très Sainte Vierge.
[4. «La vraie dévotion est constante»]
109.
Quatrièmement la vraie dévotion à la Sainte Vierge est
constante,
elle affermit une âme dans le bien, et elle la
porte à ne
pas quitter facilement ses pratiques de dévotion;
elle la rend
courageuse à s'opposer au monde, dans ses modes
et maximes; à
la chair, dans ses ennuis et ses passions; au
diable, dans
ses tentations; en sorte qu'une personne vraiment
dévote à la
Sainte Vierge n'est point changeante, chagrine,
scrupuleuse ni
craintive. Ce n'est pas qu'elle ne tombe et
qu'elle ne
change quelquefois dans la sensibilité de sa
dévotion;
mais si elle tombe, elle se relève en tendant la
main à sa
bonne Mère; si elle devient sans goût ni dévotion
sensible, elle
ne s'en met point en peine: car le juste et le
dévot fidèle
de Marie vit de la foi de Jésus et de Marie, et
non des
sentiments du corps.
[5. «La vraie dévotion est désintéressée»]
110.
Cinquièmement enfin, la vraie dévotion à la Sainte Vierge
est
désintéressée, c'est-à-dire qu'elle inspire à une âme de
ne se point
rechercher, mais Dieu seul dans sa sainte Mère. Un
vrai dévot de
Marie ne sert pas cette auguste Reine par un
esprit de
lucre et d'intérêt, ni pour son bien temporel ni
éternel,
corporel ni spirituel, mais uniquement parce qu'elle
mérite d'être
servie, et Dieu seul en elle; il n'aime pas
Marie
précisément parce qu'elle lui fait du bien, ou qu'il en
espère d'elle,
mais parce qu'elle est aimable. C'est pourquoi
il l'aime et
la sert aussi fidèlement dans les dégoûts et
sécheresses
que dans les douceurs et ferveurs sensibles; il
l'aime autant
sur le Calvaire qu'aux noces de Cana. Oh! qu'un
tel dévot de
la Sainte Vierge, qui ne se recherche en rien
dans les
services qu'il lui rend, est agréable et précieux aux
yeux de Dieu
et de sa Sainte Mère! Mais qu'il est rare
maintenant! C'est
afin qu'il ne soit plus si rare que j'ai mis
la plume à la
main pour écrire sur le papier ce que j'ai
enseigné avec
fruit en public et en particulier dans mes
missions,
pendant bien des années.
111. J'ai déjà
dit beaucoup de choses de la Très Sainte
Vierge; mais j'ai
encore beaucoup plus à dire, et j'en
omettrai
encore infiniment davantage, soit par ignorance,
insuffisance,
ou défaut de temps, dans le dessein que j'ai de
former un vrai
dévot de Marie et un vrai disciple de Jésus-
Christ.
112. Oh! que ma
peine serait bien employée si ce petit écrit,
tombant entre
les mains d'une âme bien née, née de Dieu et de
Marie, et non
du sang, de la volonte de la chair, ni de la
volonté de l'homme,
lui découvrait et inspirait, par la grâce
du Saint-Esprit,
l'excellence et le prix de la vraie et solide
dévotion à
la Très Sainte Vierge, que je vais décrire
présentement!
Si je savais que mon sang criminel pût servir à
faire entrer
dans le coeur les vérités que j'écris en
l'honneur de
ma chère Mère et souveraine Maîtresse, dont je
suis le
dernier des enfants et des esclaves, au lieu d'encre,
je m'en
servirais pour former ces caractères, dans l'espérance
que j'ai de
trouver de bonnes âmes, qui par leur fidélité à la
pratique que j'enseigne,
dédommageront ma chère Mère et
Maîtresse des
pertes qu'elle a faites par mon ingratitude et
infidélité.
113. Je me sens
plus que jamais animé à croire et à espérer
tout ce que j'ai
profondément gravé dans le coeur, et que je
demande à
Dieu depuis bien des années, savoir: que tôt ou tard
la Très
Sainte Vierge aura plus d'enfants, de serviteurs et
d'esclaves d'amour
que jamais, et que par ce moyen, Jésus-
Christ, mon
cher Maître, règnera dans les coeurs plus que
jamais.
114. Je prévois
bien des bêtes frémissantes, qui viennent en
furie pour
déchirer avec leurs dents diaboliques ce petit
écrit et
celui dont le Saint-Esprit s'est servi pour l'écrire,
ou du moins
pour l'envelopper dans les ténèbres et le silence
d'un coffre,
afin qu'il ne paraisse point; ils attaqueront
même et
persécuteront ceux et celles qui le liront et
réduiront en
pratique. Mais n'importe! mais tant mieux! Cette
vue m'encourage
et me fait espérer un grand succès, c'est-à-
dire un grand
escadron de braves et vaillants soldats de Jésus
et de Marie,
de l'un et l'autre sexe, pour combattre le monde,
le diable et
la nature corrompue, dans les temps périlleux qui
vont arriver
plus que jamais.
Qui legit,
intelligat. Qui potest capere, capiat.
[C. «PRINCIPALES PRATIQUES DE DEVOTION A MARIE»]
115. Il y a
plusieurs pratiques intérieures de la vraie
dévotion à
la Très Sainte Vierge, dont voici les principales
en abrégé:
1 L'honorer
comme la digne Mère de Dieu, du culte
d'hyperdulie,
c'est-à-dire l'estimer et l'honorer par-dessus
tous les
autres saints, comme le chef-d'oeuvre de la grâce et
la première
après Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme; 2
méditer ses
vertus, ses privilèges et ses actions; 3
contempler ses
grandeurs; 4 lui faire des actes d'amour, de
louange et de
reconnaissance; 5 l'invoquer cordialement; 6
s'offrir et s'unir
à elle; 7 faire ses actions en vue de lui
plaire; 8
commencer, continuer et finir toutes ses actions
par elle, en
elle, avec elle [et pour elle], afin de les faire
par Jésus-Christ,
en Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et pour
Jésus-Christ,
notre dernière fin. Nous expliquerons cette
dernière
pratique.
116. La vraie
dévotion à la Sainte Vierge a aussi plusieurs
pratiques
extérieures dont voici les principales:
1 S'enrôler
dans ses confréries et entrer dans ses
congrégations;
2 entrer dans les religions instituées en son
honneur; 3
publier ses louanges; 4 faire des aumônes, jeûnes
et
mortification d'esprit ou de corps en son honneur; 5
porter sur soi
ses livrées, comme le saint rosaire ou le
chapelet, le
scapulaire ou la chaînette; 6 réciter avec
attention,
dévotion et modestie ou le saint rosaire composé de
quinze
dizaines d'Ave Maria en l'honneur des quinze principaux
mystères de
Jésus-Christ, ou le chapelet de cinq dizaines, qui
est le tiers
du rosaire, ou en l'honneur des cinq mystères
joyeux, qui
sont: l'Annonciation, la Visitation, la Nativité
de Jésus-Christ,
la Purification et le Recouvrement de Jésus-
Christ au
Temple; ou en l'honneur des cinq mystères
douloureux,
qui sont: l'Agonie de Jésus-Christ au jardin des
Olives, sa
Flagellation, son Couronnement d'épines, son
Portement de
Croix et son Crucifement; ou en l'honneur des
cinq mystères
glorieux, qui sont: la Résurrection de Jésus-
Christ, son
Ascension, la Descente du Saint-Esprit ou la
Pentecôte, l'Assomption
de la Sainte Vierge en corps et en âme
dans le ciel,
et son Couronnement par les trois personnes de
la très
sainte Trinité. On peut dire aussi un chapelet de six
ou sept
dizaines en l'honneur des années qu'on croit que la
Sainte Vierge
a vécu sur la terre; ou la petite couronne de la
Sainte Vierge,
composée de trois Pater et douze Ave, en
l'honneur de
sa couronne de douze étoiles ou privilèges; ou
l'office de la
Sainte Vierge, si universellement reçu et
recité dans l'Eglise;
ou le petit psautier de la Sainte
Vierge, que
saint Bonaventure a fait en son honneur, et qui
est si tendre
et si dévot, qu'on ne peut le réciter sans en
être attendri;
ou quatorze Pater et Ave en l'honneur de ses
quatorze
allégresses; ou quelques autres prières, hymnes et
cantiques de l'Eglise,
comme le Salve Regina, l'Alma, l'Ave
Regina
coelorum, ou le Regina coeli, selon les différents
temps; ou l'Ave
maris stella, O gloriosa Domina, etc., ou le
Magnificat ou
quelques autres prières de dévotion, dont les
livres sont
pleins; 7 chanter et faire chanter en son honneur
des cantiques
spirituels; 8 lui faire un nombre de
génuflexions
ou révérences, en lui disant par exemple, tous
les matins,
soixante ou cent fois: Ave Maria, Virgo fidelis,
pour obtenir
de Dieu par elle la fidélité aux grâces de Dieu
pendant la
journée; et le soir, Ave Maria, Mater
misericordiae,
pour demander pardon à Dieu par elle des péchés
qu'on a commis
pendant la journée; 9 avoir soin de ses
confréries,
orner ses autels, couronner ou embellir ses
images; 10
porter et faire porter ses images en procession,
et en porter
une sur soi, comme une arme puissante contre le
malin; 11
faire faire ses images ou son nom, et les placer ou
dans les
églises, ou dans les maisons, ou sur les portes et
entrées des
villes, des églises et des maisons; 12 se
consacrer à
elle d'une manière spéciale et solennelle.
117. Il y a une
quantité d'autres pratiques de la vraie
dévotion à
la Très Sainte Vierge, que le Saint-Esprit a
inspirées aux
saintes âmes, qui sont très sanctifiantes; on
les pourra
lire plus au long dans le Paradis ouvert à
Philagie,
composé par le R. Père Paul Barry, de la Compagnie
de Jésus, où
il a recueilli un grand nombre de dévotions que
les saints ont
pratiquées en l'honneur de la Très Sainte
Vierge,
lesquelles dévotions servent merveilleusement à
sanctifier les
âmes, pourvu qu'elles soient faites comme il
faut, c'est-à-dire:
1 avec une
bonne et droite intention de plaire à Dieu
seul, de s'unir
à Jésus-Christ comme à sa fin dernière, et
d'édifier le
prochain; 2 avec attention, sans distraction
volontaire; 3
avec dévotion, sans empressement ni négligence;
4 avec
modestie et composition de corps respectueuse et
édifiante.
[D. LA PARFAITE PRATIQUE DE DEVOTION A MARIE]
118. Après tout,
je proteste hautement qu'ayant lu presque
tous les
livres qui traitent de la dévotion à la Très Sainte
Vierge, et
ayant conversé familièrement avec les plus saints
et savants
personnages de ces derniers temps, je n'ai point
connu ni
appris de pratique de dévotion envers la Sainte
Vierge
semblable à celle que je veux dire, qui exige d'une âme
plus de
sacrifices pour Dieu, qui la vide plus d'elle même et
de son amour-propre,
qui la conserve plus fidèlement dans la
grâce, et la
grâce en elle, qui l'unisse plus parfaitement et
plus
facilement à Jésus-Christ, et enfin qui soit plus
glorieuse à
Dieu, sanctifiante pour l'âme et utile au
prochain.
119. Comme l'essentiel
de cette dévotion consiste dans
l'intérieur
qu'elle doit former, elle ne sera pas également
comprise de
tout le monde: quelques-uns s'arrêteront à ce
qu'elle a d'extérieur,
et ne passeront pas outre, et ce sera
le plus grand
nombre; quelques-uns, en petit nombre, entreront
dans son
intérieur, mais ils n'y monteront qu'un degré. Qui
est-ce qui
montera au second? Qui parviendra jusqu'au
troisième?
Enfin, qui est celui qui y sera par état? Celui-là
seul, à qui l'Esprit
de Jésus-Christ révélera ce secret, et y
conduira lui-même
l'âme bien fidèle pour avancer de vertus en
vertus, de
grâce en grâce, et de lumières en lumières pour
arriver jusqu'à
la transformation de soi-même en Jésus-Christ,
et à la
plénitude de son âge sur la terre et de sa gloire dans
le ciel.
[1.] LA PARFAITE CONSECRATION A JESUS-CHRIST
120. Toute notre
perfection consistant à être conformes, unis
et consacrés
à Jésus-Christ, la plus parfaite de toutes les
dévotions est
sans difficulté celle qui nous conforme, unit et
consacre le
plus parfaitement à Jésus-Christ. Or, Marie étant
la plus
conforme à Jésus-Christ de toutes les créatures, il
s'ensuit que,
de toutes les dévotions, celle qui consacre et
conforme le
plus une âme à Notre-Seigneur, est la dévotion à
la Très
Sainte Vierge, sa sainte Mère, et que plus une âme
sera
consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus-Christ.
C'est pourquoi
la parfaite consécration à Jésus-Christ
n'est autre
chose qu'une parfaite et entière consécration de
soi-même à
la Très Sainte Vierge, qui est la dévotion que
j'enseigne; ou
autrement une parfaite rénovation des voeux et
promesses du
saint baptême.
121. Cette
dévotion consiste donc à se donner tout entier à la
Très Sainte
Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par
elle. Il faut
lui donner: 1 notre corps avec tous ses sens et
ses membres; 2
notre âme avec toutes ses puissances; 3 nos
biens
extérieurs qu'on appelle de fortune, présents et à
venir; 4 nos
biens intérieurs et spirituels, qui sont nos
mérites, nos
vertus et nos bonnes oeuvres passées, présentes
et futures: en
deux mots, tout ce que nous avons dans l'ordre
de la nature
et dans l'ordre de la grâce, et tout ce que nous
pourrons avoir
à l'avenir dans l'ordre de la nature, de la
grâce ou de
la gloire, et cela sans aucune réserve, pas même
d'un denier, d'un
cheveu et de la moindre bonne action, et
cela pour
toute l'éternité, et cela sans prétendre ni espérer
aucune autre
récompense de son offrande et de son service, que
l'honneur d'appartenir
à Jésus-Christ par elle, quand cette
aimable
Maîtresse ne serait pas, comme elle est toujours, la
plus libérale
et la plus reconnaissante des créatures.
122. Ici, il faut
remarquer qu'il y a deux choses dans les
bonnes oeuvres
que nous faisons, savoir: la satisfaction et le
mérite,
autrement, la valeur satisfactoire ou impétratoire et
la valeur
méritoire. La valeur satisfactoire ou impétratoire
d'une bonne
oeuvre, c'est une bonne action en tant qu'elle
satisfait à
la peine dûe au péché, ou qu'elle obtient quelque
nouvelle
grâce; la valeur méritoire, ou le mérite, est une
bonne action
en tant qu'elle mérite la grâce et la gloire
éternelle. Or,
dans cette consécration de nous-mêmes à la Très
Sainte Vierge,
nous lui donnons toute la valeur satisfactoire,
impétratoire
et méritoire, autrement les satisfactions et les
mérites de
toutes nos bonnes oeuvres: nous lui donnons nos
mérites, nos
grâces et nos vertus, non pas pour les
communiquer à
d'autres (car nos mérites, grâces et vertus
sont, à
proprement parler, incommunicables; et il n'y a eu que
Jésus-Christ
qui, en se faisant notre caution auprès de son
Père, nous a
pu communiquer ses mérites), mais pour nous les
conserver,
augmenter et embellir, comme nous dirons encore;
nous lui
donnons nos satisfactions pour les communiquer à qui
bon lui
semblera, et pour la plus grande gloire de Dieu.
123. Il s'ensuit
de là: 1 que par cette consécration on donne
à Jésus-Christ,
de la manière la plus parfaite, puisque c'est
par les mains
de Marie, tout ce qu'on peut lui donner, et
beaucoup plus
que par les autres dévotions, où on lui donne ou
une partie de
son temps, ou une partie de ses bonnes oeuvres,
ou une partie
de ses satisfactions et mortifications. Ici tout
est donné et
consacré, jusqu'au droit de disposer de ses biens
intérieurs,
et les satisfactions qu'on gagne par ses bonnes
oeuvres de
jour en jour: ce qu'on ne fait pas même dans aucune
religion. On
donne à Dieu dans les religions les biens de
fortune par le
voeu de pauvreté, les biens du corps par le
voeu de
chasteté, la propre volonté par le voeu d'obéissance,
et quelquefois
la liberté du corps par le voeu de clôture;
mais on ne lui
donne pas la liberté ou le droit qu'on a de
disposer de la
valeur de ses bonnes oeuvres, et on ne se
dépouille pas
autant qu'on peut de ce que l'homme chrétien a
de plus
précieux et de plus cher, qui sont ses mérites et ses
satisfactions.
124. 2 Il s'ensuit
qu'une personne qui s'est ainsi
volontairement
consacrée et sacrifiée à Jésus-Christ par Marie
ne peut plus
disposer de la valeur d'aucune de ses bonnes
actions: tout
ce qu'il souffre, tout ce qu'il pense, dit et
fait de bien,
appartient à Marie, afin qu'elle en dispose
selon la
volonté de son Fils, et à sa plus grande gloire, sans
cependant que
cette dépendance préjudicie en aucune manière
aux
obligations de l'état où l'on est pour le présent, et où
on pourra
être pour l'avenir: par exemple, aux obligations
d'un prêtre
qui, par office ou autrement, doit appliquer la
valeur
satisfactoire et impétratoire de la sainte Messe à un
particulier;
car on ne fait cette offrande que selon l'ordre
de Dieu et les
devoirs de son état.
125. 3 Il s'ensuit
qu'on se consacre tout ensemble à la Très
Sainte Vierge
et à Jésus-Christ: à la Très Sainte Vierge comme
au moyen
parfait que Jésus-Christ a choisi pour s'unir à nous
et nous à lui;
et à Notre-Seigneur comme à notre dernière fin,
auquel nous
devons tout ce que nous sommes, comme à notre
Rédempteur et
à notre Dieu.
126. J'ai dit que
cette dévotion pouvait fort bien être
appelée une
parfaite rénovation des voeux ou promesses du
saint baptême.
Car tout
chrétien, avant son baptème, était l'esclave du
démon, parce
qu'il lui appartenait. Il a, dans son baptême,
par sa bouche
propre ou par celle de son parrain et de sa
marraine,
renoncé solennellement à Satan, à ses pompes et à
ses oeuvres,
et a pris Jésus-Christ pour son Maître et
souverain
Seigneur, pour dépendre de lui en qualité d'esclave
d'amour. C'est
ce qu'on fait par la présente dévotion: on
renonce (comme
il est marqué dans la formule de consécration),
au démon, au
monde, au péché et à soi-même, et on se donne
tout entier à
Jésus-Christ par les mains de Marie. Et même on
fait quelque
chose de plus, car dans le baptême, on parle
ordinairement
par la bouche d'autrui, savoir par le parrain et
la marraine,
et on ne se donne à Jésus-Christ [que] par
procureur;
mais, dans cette dévotion, c'est par soi-même,
c'est
volontairement, c'est avec connaissance de cause.
Dans le saint
baptême, on ne [se] donne pas à Jésus-
Christ par les
mains de Marie, du moins d'une manière
expresse, et
on ne donne pas à Jésus-Christ la valeur de ses
bonnes actions;
mais, par cette dévotion, on se donne
expressément
à Notre-Seigneur par les mains de Marie, et on
lui consacre
la valeur de toutes ses actions.
127. Les hommes,
dit saint Thomas, font voeu, au saint baptême
de renoncer au
diable et à ses pompes: In baptismum vovent
homines
abrenuntiare diabolo et pompis ejus. Et ce voeu, dit
saint Augustin,
est le plus grand et le plus indispensable :
Votum maximum
nostrum quo vovimus nos in Christo esse mansuros
(Epis. 59 ad
Paulin). C'est aussi ce que disent les
canonistes:
Principuum votum est quod baptismate facimus.
Cependant, qui
est-ce qui garde ce grand voeu? Qui est-ce qui
tient
fidèlement les promesses du saint baptême? Presque tous
les chrétiens
ne faussent-ils pas la fidélité qu'ils ont
promise à
Jésus-Christ dans leur baptême? D'où peut venir ce
dérèglement
universel, sinon l'oubli où l'on vit des promesses
et des
engagements du saint baptême, et de ce que presque
persone ne
ratifie par soi-même le contrat d'alliance qu'il a
fait avec Dieu
par ses parrains et marraines!
128. Cela est si
vrai que le Concile de Sens, convoqué par
l'ordre de
Louis le Débonnaire pour remédier aux désordres des
chrétiens qui
étaient grands, jugea que la principale cause de
cette
corruption dans les moeurs venait de l'oubli et
l'ignorance
où l'on vivait des engagements du saint baptême;
et il ne
trouva point de meilleur moyen de remédier à un si
grand mal que
de porter les chrétiens à renouveler les voeux
et promesses
du saint baptême.
129. Le
Catéchisme du Concile de Trente, fidèle interprète des
intentions de
ce saint concile, exhorte les curés à faire la
même chose et
à porter leurs peuples à se ressouvenir qu'ils
sont liés et
consacrés à Notre-Seigneur Jésus-Christ comme des
esclaves à
leur Rédempteur et Seigneur. Voici ses paroles:
Parochus
fidelem populum ad eam rationem cohortabitur ut sciat
[...] aequum
esse nos ipsos, non secus ac mancipia Redemptori
nostro et
Domino in perpetuum addicere et consecrare (Cat.
Conc. Trid.,
pte I,c.3).
130. Or, si les
Conciles, les Pères et l'expérience même nous
montrent que
le meilleur moyen pour remédier aux dérèglements
des chrétiens
est de les faire ressouvenir des obligations de
leur baptême
et de leur faire renouveler les voeux qu'ils y
ont faits, n'est-il
pas raisonnable qu'on le fasse
présentement
d'une manière parfaite par cette dévotion et
consécration
à Notre-Seigneur par sa sainte Mère? Je dis d'une
manière
parfaite, parce qu'on se sert, pour se consacrer à
Jésus-Christ,
du plus parfait de tous les moyens, qui est la
Très Sainte
Vierge.
131. On ne peut
pas objecter que cette dévotion soit nouvelle
ou
indifférente: elle n'est pas nouvelle, puisque les
conciles, les
Pères et plusieurs auteurs anciens et nouveaux
parlent de
cette consécration à Notre-Seigneur ou rénovation
des voeux du
saint baptême comme d'une chose anciennement
pratiquée, et
qu'ils conseillent à tous les chrétiens; elle
n'est pas
indifférente, puisque la principale source des
désordres, et
par conséquent de la damnation des chrétiens,
vient de l'oubli
et de l'indifférence pour cette pratique.
132. Quelques-uns
peuvent dire que cette dévotion, nous
faisant donner
à Notre-Seigneur, par les mains de la Très
Sainte Vierge,
la valeur de toutes nos bonnes oeuvres, prières
et
mortifications et aumônes, elle nous met dans l'impuissance
de secourir
les âmes de nos parents, amis et bienfaiteurs.
Je leur
répond, premièrement, qu'il n'est pas croyable
que nos amis,
parents ou bienfaiteurs souffrent du dommage de
ce que nous
nous sommes dévoués et consacrés sans réserve au
service de
Notre-Seigneur et de sa sainte Mère. Ce serait
faire injure
à la puissance et à la bonté de Jésus et de
Marie, qui
sauront bien assister nos parents, amis et
bienfaiteurs
de notre petit revenu spirituel, ou par d'autres
voies.
Secondement,
cette pratique n'empêche point qu'on ne prie
pour les
autres, soit morts, soit vivants, quoique
l'application
de nos bonnes oeuvres dépende de la volonté de
la Très
Sainte Vierge; c'est au contraire ce qui nous portera
à prier avec
plus de confiance; tout ainsi qu'une personne
riche qui
aurait donné tout son bien à un grand prince, afin
de l'honorer
davantage, prierait avec plus de confiance ce
prince de
faire l'aumône à quelqu'un de ses amis qui la lui
demanderait.
Ce serait même faire plaisir à ce prince que de
lui donner l'occasion
de témoigner sa reconnaissance envers
une personne
qui s'est dépouillée pour le revêtir, qui s'est
appauvrie pour
l'honorer. Il faut dire la même chose de Notre-
Seigneur et de
la Sainte Vierge: ils ne se laisseront jamais
vaincre en
reconnaissance.
133. Quelqu'un
dira peut-être: Si je donne à la Très Sainte
Vierge tout la
valeur de mes actions pour l'appliquer à qui
elle voudra,
il faudra peut-être que je souffre longtemps en
purgatoire.
Cette
objection, qui vient de l'amour-propre et de
l'ignorance de
la libéralité de Dieu et de sa sainte Mère, se
détruit d'elle-même.
Une âme fervente et généreuse qui prise
plus les
intérêts de Dieu que les siens, qui donne à Dieu tout
ce qu'elle a,
sans réserve, en sorte qu'elle ne peut pas plus,
non plus ultra,
qui ne respire que la gloire et le règne de
Jésus-Christ
par sa sainte Mère, et qui se sacrifie tout
entière pour
le gagner; cette âme généreuse, dis-je, et
libérale,
sera-t-elle plus punie en l'autre monde pour avoir
été plus
libérale et plus désintéressée que les autres? Tant
s'en faut: c'est
à cette âme, comme nous verrons dans la
suite, que
Notre-Seigneur et sa sainte Mère sont très libéraux
dans ce monde
et dans l'autre, dans l'ordre de la nature, de
la grâce et
de la gloire.
134. Il faut
maintenant que nous voyions, le plus brièvement
que nous
pourrons, les motifs qui nous doivent rendre cette
dévotion
recommendable, les effets merveilleux qu'elle produit
dans les âmes
fidèles, et les pratiques de cette dévotion.
[2. «LES MOTIFS
QUI NOUS DOIVENT RENDRE CETTE DEVOTION
RECOMMANDABLE»]
[Cette dévotion nous livre entièrement au service de Dieu]
135. Premier motif,
qui nous montre l'excellence de cette
consécration
de soi-même à Jésus-Christ par les mains de
Marie.
Si on ne peut
concevoir sur la terre d'emploi plus relevé
que le service
de Dieu; si le moindre serviteur de Dieu est
plus riche,
plus puissant et plus noble que tout les rois et
les empereurs
de la terre, s'ils ne sont pas serviteurs de
Dieu, quelles
sont les richesses, la puissance et la dignité
du fidèle et
parfait serviteur de Dieu, qui sera dévoué à son
service,
entièrement, sans réserve et autant qu'il le peut
être! Tel est
un fidèle et amoureux esclave de Jésus en Marie,
qui s'est
donné tout entier au service de ce Roi des rois, par
les mains de
sa sainte Mère, et qui n'a rien réservé pour soi-
même: tout l'or
de la terre et les beautés des cieux ne
peuvent pas le
payer.
136. Les autres
congrégations, associations et confréries
érigées en l'honneur
de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère,
qui font de si
grands biens dans le christianisme, ne font pas
donner tout
sans réserve; elles ne prescrivent à leurs
associés que
de certaines pratiques et actions pour satisfaire
à leur
obligations; elles les laissent libres pour toutes les
autres actions
et les autres temps de leur vie. Mais cette
dévotion ici
fait donner sans réserve à Jésus et à Marie
toutes ses
pensées, paroles, actions et souffrances, et tous
les temps de
sa vie; en sorte que, soit qu'il veille ou qu'il
dorme, soit qu'il
boive ou qu'il mange, soit qu'il fasse les
actions les
plus grandes, soit qu'il fasse les plus petites,
il est
toujours vrai de dire que ce qu'il fait, quoiqu'il n'y
pense pas, est
à Jésus et à Marie en vertu de son offrande, à
moins qu'il ne
l'ait expressément rétractée. Quelle
consolation!
137. De plus,
comme j'ai déjà dit, il n'y a aucune autre
pratique que
celle-ci par laquelle on se défasse facilement
d'une certaine
propriété, qui se glisse imperceptiblement dans
les meilleures
actions; et notre bon Jésus donne cette grande
grâce en
récompense de l'action héroïque et désintéressée
qu'on a faite,
en lui faisant, par les mains de sa sainte
Mère, une
cession de toute la valeur de ses bonnes oeuvres.
S'il donne un
centuple, même en ce monde, à ceux qui, pour son
amour,
quittent les biens extérieurs, temporels et
périssables,
quel sera le centuple qu'il donnera à celui qui
lui sacrifiera
même ses biens intérieurs et spirituels!
138. Jésus, notre
grand ami, s'est donné à nous sans réserve,
corps et âme,
vertus, grâces et mérites: Se toto totum me
comparavit,
dit saint Bernard: Il m'a gagné tout entier en se
donnant tout
à moi; n'est-il pas de la justice et de la
reconnaissance
que nous lui donnions tout ce que nous pouvons
lui donner? Il
a été libéral envers nous le premier; soyons-le
les seconds,
et nous l'éprouverons pendant notre vie, à notre
mort et dans
toute l'éternité, encore plus libéral: Cum
liberali
liberalis erit.
[Cette dévotion
nous fait imiter l'exemple donné par Jésus-
Christ et par
Dieu lui-même, et pratiquer l'humilité]
139. Second motif,
qui nous montre qu'il est juste en soi-même
et avantageux
au chrétien de se consacrer tout entier à la
Très Sainte
Vierge par cette pratique, afin d'être plus
parfaitement
à Jésus-Christ.
Ce bon Maître
n'a pas dédaigné de se renfermer dans le
sein de la
Sainte Vierge comme un captif et un esclave
amoureux, et
de lui être soumis et obéissant pendant trente
années. C'est
ici, je le répète, que l'esprit humain se perd,
lorsqu'il fait
une sérieuse réflexion à cette conduite de la
Sagesse
incarnée, qui n'a pas voulu, quoiqu'elle le pût faire,
se donner
directement aux hommes, mais par la Très Sainte
Vierge; qui n'a
pas voulu venir au monde à l'âge d'un homme
parfait,
indépendant d'autrui, mais comme un pauvre et petit
enfant,
dépendant des soins et de l'entretien de sa sainte
Mère. Cette
Sagesse infinie, qui avait un désir immense de
glorifier Dieu
son Père et de sauver les hommes, n'a point
trouvé de
moyen plus parfait et plus court pour le faire que
de se
soumettre en toutes choses à la Très Sainte Vierge, non
seulement
pendant les huit, dix ou quinze années premières de
sa vie, comme
les autres enfants, mais pendant trente ans; et
elle a plus
donné de gloire à Dieu son Père, pendant tout ce
temps de
soumission et de dépendance de la Très Sainte Vierge,
qu'elle ne lui
en eût donné en employant ces trente ans à
faire des
prodiges, à prêcher par toute la terre, à convertir
tous les
hommes; si autrement, elle l'aurait fait. Oh! oh!
qu'on glorifie
hautement Dieu en se soumettant à Marie, à
l'exemple de
Jésus!
Ayant devant
nos yeux un exemple si visible et si connu
de tout le
monde, sommes-nous assez insensés pour croire
trouver un
moyen plus parfait et plus court pour glorifier
Dieu que celui
de se soumettre à Marie, à l'exemple de son
Fils?
140. Qu'on [se]
rappelle ici, pour preuve de la dépendance que
nous devons
avoir de la Très Sainte Vierge, ce que j'ai dit
ci-cessus, en
rapportant les exemples que nous donnent le
Père, le Fils
et le Saint-Esprit, dans la dépendance que nous
devons avoir
de la Très Sainte Vierge. Le Père n'a donné et ne
donne son Fils
que par elle, ne se fait des enfants que par
elle, et ne
communique ses grâces que par elle; Dieu le Fils
n'a été
formé pour tout le monde et engendré que par elle dans
l'union au
Saint-Esprit, et ne communique ses mérites et ses
vertus que par
elle; le Saint-Esprit n'a formé Jésus-Christ
que par elle,
ne forme les membres de son Corps mystique que
par elle, et
ne dispense ses dons et faveurs que par elle.
Après tant et
de si pressants exemples de la très Sainte
Trinité,
pouvons-nous, sans un extrème aveuglement, nous
passer de
Marie, et ne pas nous consacrer à elle, et dépendre
d'elle pour
aller à Dieu et pour nous sacrifier à Dieu?
141. Voici
quelques passsages latins des Pères, que j'ai
choisi pour
prouver ce que je viens de dire:
Duo filii
Mariae sunt, homo Deus et homo purus; unius
corporaliter;
et alterius spiritualiter mater est Maria (Saint
Bonaventure et
Origène).
Haec est
voluntas Dei, qui totum nos voluit habere per
Mariam; ac
proinde, si quid spei, si quid gratiae, si quid
salutis ab ea
noverimus redundare (saint Bernard).
Omnia dona,
virtutes et gratiae ipsius Spiritus Sancti,
quibus vult,
quando vult, quomodo vult et quantum vult per
ipsius manus
administrantur (saint Bernardin).
Qui indignus
eras cui daretur, datum est Mariae, ut per
eam acciperes
quidquid haberes (saint Bernard).
142. Dieu, voyant
que nous sommes indignes de recevoir ses
grâces
immédiatement de sa main, dit saint Bernard, il les
donne à Marie,
afin que nous ayons par elle tout ce qu'il veut
nous donner:
et il trouve aussi sa gloire à recevoir par les
mains de Marie
la reconnaissance, le respect et l'amour que
nous lui
devons pour ses bienfaits. Il est donc très juste que
nous imitions
cette conduite de Dieu, afin, dit le même saint
Bernard, que
la grâce retourne à son auteur par le même canal
qu'elle est
venue: Ut eodem alveo ad largitorem gratia redeat
quo fluxit.
C'est ce qu'on
fait par notre dévotion: on offre et
consacre tout
ce qu'on est et tout ce qu'on possède à la Très
Sainte Vierge,
afin que Notre-Seigneur reçoive par son
entremise la
gloire et la reconnaissance qu'on lui doit. On se
reconnait
indigne et incapable d'approcher de sa Majesté
infinie par
soi-même: c'est pourquoi on se sert de
l'intercession
de la Très Sainte Vierge.
143. De plus, c'est
ici une pratique d'une grande humilité,
que Dieu aime
par-dessus les autres vertus. Une âme qui
s'élève
abaisse Dieu, une âme qui s'humilie élève Dieu. Dieu
résiste aux
superbes et donne sa grâce aux humbles: si vous
vous abaissez,
vous croyant indigne de paraître devant lui et
de vous
approcher de lui, il descend, il s'abaisse pour venir
à vous, pour
se plaire en vous, et pour vous élever malgré
vous; mais
tout le contraire, quand on s'approche hardiment de
Dieu, sans
médiateur, Dieu s'enfuit, on ne peut l'atteindre.
Oh! qu'il aime
l'humilité du coeur! C'est à cette humilité
qu'engage
cette pratique de dévotion, puisqu'elle apprend à
n'approcher
jamais par soi-même de Notre-Seigneur, quelque
doux et
miséricordieux qu'il soit, mais à se servir toujours
de l'intercession
de la Sainte Vierge, soit pour paraître
devant Dieu,
soit pour lui parler, soit pour l'approcher, soit
pour lui
offrir quelque chose, soit pour s'unir et consacrer à
lui.
[Cette dévotion
nous procure les bons offices de la Sainte
Vierge]
144. Troisième
motif. - La Très Sainte Vierge, qui est une
mère de
douceur et de miséricorde, et qui ne se laisse jamais
vaincre en
amour et en libéralité, voyant qu'on se donne tout
entier à elle
pour l'honorer et la servir, en se dépouillant
de ce qu'on a
de plus cher pour l'en orner, se donne aussi
tout entière
et d'une manière ineffable à celui qui lui donne
tout. Elle le
fait s'engloutir dans l'abîme de ses grâces;
elle l'orne de
ses mérites; elle l'appuie de sa puissance;
elle l'éclaire
de sa lumière; elle l'embrase de son amour;
elle lui
communique ses vertus: son humilité, sa foi, sa
pureté, etc.;
elle se rend sa caution, son supplément et son
tout envers
Jésus. Enfin, comme cette personne consacrée est
toute à Marie,
Marie est aussi toute à elle; en sorte qu'on
peut dire de
ce parfait serviteur et enfant de Marie ce que
saint Jean l'Evangéliste
dit de lui-même, qu'il a pris la Très
Sainte Vierge
pour tous ses biens: Accepit eam discipulus in
sua.
145. C'est ce qui
produit dans son âme, s'il est fidèle, une
grande
défiance, mépris et haine de soi-même, et une grande
confiance et
un grand abandon à la Sainte Vierge, sa bonne
maîtresse. Il
ne met plus, comme auparavant, son appui en ses
dispositions,
intentions, mérites, vertus et bonnes oeuvres,
parce qu'en
ayant fait un entier sacrifice à Jésus-Christ par
cette bonne
Mère, il n'a plus qu'un trésor où sont tous ses
biens, et qui
n'est plus chez lui, et ce trésor est Marie.
C'est ce qui
le fait approcher de Notre-Seigneur sans
crainte
servile ni scrupuleuse, et le prier avec beaucoup de
confiance; c'est
ce qui le fait entrer dans les sentiments du
dévot et
savant abbé Rupert, qui, faisant allusion à la
victoire que
Jacob remporta sur un ange, dit à la Très Sainte
Vierge ces
belles paroles: O Marie, ma Princesse, et Mère
inmaculée d'un
Dieu-Homme, Jésus-Christ, je désire lutter avec
cet Homme,
savoir le Verbe divin, armé non pas de mes propres
mérites, mais
des vôtres: O Domina, Dei Genitrix, Maria, et
incorrupta
Mater Dei et hominis, non meis, sed tuis armatus
meritis, cum
isto Viro, scilicet Verbo Dei, luctari cupio.
(Rup. prolog.
in Cantic.).
Oh! qu'on est
puissant et fort auprès de Jésus-Christ
quand on est
armé des mérites et de l'intercession d'une
digne Mère de
Dieu, qui, comme dit saint Augustin, a
amoureusement
vaincu le Tout-Puisant!
146. Comme, par
cette pratique, on donne à Notre-Seigneur, par
les mains de
sa sainte Mère, toutes ses bonnes oeuvres, cette
bonne
Maîtresse les purifie, les embellit et les fait accepter
de son Fils.
1 Elle les
purifie de toute la souillure de l'amour-
propre et de l'attache
imperceptible à la créature qui se
glisse
insensiblement dans les meilleures actions. Dès lors
qu'elles sont
entre ses mains très pures et fécondes, ces
mêmes mains,
qui n'ont jamais été stériles ni oiseuses, et qui
purifient tout
ce qu'elles touchent, ôtent du présent qu'on
lui fait tout
ce qui peut y avoir de gâté ou imparfait.
147. 2 Elle les
embellit, en les ornant de ses mérites et
vertus. Comme
si un paysan, voulant gagner l'amitié et la
bienveillance
du roi, allait à la reine et lui présentait une
pomme, qui est
tout son revenu, afin que la reine la présentât
au roi. La
reine, ayant accepté le pauvre petit présent du
paysan,
mettrait cette pomme au milieu d'un grand et beau plat
d'or, et la
présenterait ainsi au roi de la part du paysan;
pour lors, la
pomme, quoique indigne en elle-même d'être
présentée à
un roi, deviendrait un présent digne de sa
Majesté, eu
égard au plat d'or où elle est et à la personne
qui la
présente.
148. 3 Elle
présente ces bonnes oeuvres à Jésus-Christ; car
elle ne garde
rien de ce qu'on lui présente, pour soi, en
dernière fin;
elle renvoie tout à Jésus-Christ fidèlement. Si
on lui donne,
on donne nécessairement à Jésus; si on la loue
et on la
glorifie, aussitôt elle loue et glorifie Jésus.
Maintenant,
comme autrefois lorsque sainte Elisabeth la loua,
elle chante,
quand on la loue et la bénit: Magnificat anima
mea Dominum.
149. 4 Elle fait
accepter de Jésus ces bonnes oeuvres,
quelque petit
et pauvre que soit le présent pour ce Saint des
saints et ce
Roi des rois. Quand on présente quelque chose à
Jésus, par
soi-même et appuyé sur sa propre industrie et
disposition,
Jésus examine le présent, et souvent il le
rejette à
cause de la souillure qu'il contracte par l'amour-
propre; comme
autrefois il rejeta les sacrifices des Juifs
tout pleins de
leur propre volonté. Mais quand on lui présente
quelque chose
par les mains pures et virginales de sa bien-
aimée, on le
prend par son faible, s'il m'est permis d'user de
ce terme: il
ne considère pas tant la chose qu'on lui donne
que sa bonne
Mère qui la présente; il ne regarde pas tant d'où
vient ce
présent que celle par qui il vient. Ainsi Marie, qui
n'est jamais
rebutée, et toujours bien reçue de son Fils, fait
recevoir
agréablement de sa Majesté tout ce qu'elle lui
présente,
petit ou grand; il suffit que Marie le présente pour
que Jésus le
reçoive et l'agrée. C'est le grand conseil que
donnait saint
Bernard à ceux et celles qu'il conduisait à la
perfection.
Quand vous voudrez offrir quelque chose à Dieu,
ayez soin de l'offrir
par les mains très agréables et très
dignes de
Marie, à moins que vous ne vouliez être rejeté:
Modicum quod
offere desideras, manibus Mariae offerendum
tradere cura,
si non vis sustinere repulsam (Saint Bernard,
Lib. de Aquaed.).
150. N'est-ce pas
ce que la nature même inspire aux petits à
l'égard des
grands, comme nous avons vu? Pourquoi la grâce ne
nous portera-t-elle
pas à faire la même chose à l'égard de
Dieu, qui est
infiniment élevé au-dessus de nous, et devant
lequel nous
sommes moins que des atomes; ayant d'ailleurs une
avocate si
puissante qu'elle n'est jamais refusée; si
industrieuse
qu'elle sait tous les secrets de gagner le coeur
de Dieu; si
bonne et charitable qu'elle ne rebute personne
quelque petit
et méchant qu'il soit.
Je rapporterai
ci-après la figure véritable des vérités
que je dis,
dans l'histoire de Jacob et Rébecca.
[Cette dévotion
est un excellent moyen de procurer la plus
grande gloire
de Dieu]
151. Quatrième
motif. - Cette dévotion fidèlement pratiquée
est un
excellent moyen pour faire en sorte que la valeur de
toutes nos
bonnes oeuvres soit employée à la plus grande
gloire de Dieu.
Presque personne n'agit pour cette noble fin,
quoiqu'on y
soit obligé, soit parce qu'on ne connait pas où
est la plus
grande gloire de Dieu, soit parce qu'on ne la veut
pas. Mais la
Très Sainte Vierge, à qui on cède la valeur et le
mérite de ses
bonnes oeuvres, connaissant très parfaitement où
est la plus
grande gloire de Dieu, et ne faisant rien que pour
la plus grande
gloire de Dieu, un parfait serviteur de cette
bonne
Maitresse, qui s'est tout consacré à elle, comme nous
avons dit,
peut dire hardiment que la valeur de toutes ses
actions,
pensées et paroles, est employé à la plus grande
gloire de Dieu,
à moins qu'il ne révoque expressément son
offrande. Peut-on
trouver rien de plus consolant pour une âme
qui aime Dieu
d'un amour pur et sans intérêt, et qui prise
plus la gloire
de Dieu et ses intérêts que les siens?
[Cette dévotion
est un chemin pour arriver à l'union avec
Notre-Seigneur]
152. Cinquième
motif. - Cette dévotion est un chemin aisé,
court, parfait
et assuré pour arriver à l'union avec Notre-
Seigneur, où
consiste la perfection du chrétien.
[Cette
dévotion est un chemin aisé]
1 C'est un
chemin aisé; c'est un chemin que Jésus-Christ
a frayé en
venant à nous, et où il n'y a aucun obstacle pour
arriver à lui.
On peut, à la vérité, arriver à l'union divine
par d'autres
chemins; mais ce sera par beaucoup plus de croix,
de morts
étranges et avec beaucoup plus de difficultés, que
nous ne
vaincrons que difficilement. Il faudra passer par des
nuits obscures,
par des combats et des agonies étranges, par
sur des
montagnes escarpées, par sur des épines très piquantes
et des
déserts affreux. Mais par le chemin de Marie, on passe
plus doucement
et plus tranquillement.
On y trouve,
à la vérité, de grands combats à donner et
de grandes
difficultés à vaincre; mais cette bonne Mère et
Maîtresse se
rend si proche et si présente à ses fidèles
serviteurs,
pour les éclairer dans leurs ténèbres, pour les
éclaircir
dans leurs doutes, pour les affermir dans leurs
craintes, pour
les soutenir dans leurs combats et leurs
difficultés,
qu'en vérité ce chemin virginal pour trouver
Jésus-Christ
est un chemin de roses et de miel, à vu les
autres chemins.
Il y a eu quelques saints, mais en petit
nombre, comme
un saint Ephrem, saint Jean Damascènne, saint
Bernard, saint
Bernardin, saint Bonaventure, saint François de
Sales, etc.,
qui ont passé par ce chemin doux pour aller à
Jésus-Christ,
parce que le Saint-Esprit, Epoux fidèle de
Marie, le leur
a montré par une grâce singulière; mais les
autres saints,
qui sont en plus grand nombre, quoiqu'ils aient
tous eu de la
dévotion à la Très Sainte Vierge, n'ont pas
pourtant, ou
très peu, entré en cette voie. C'est pourquoi ils
ont passé par
des épreuves plus rudes et plus dangereuses.
153. D'où vient
donc, me dira quelque fidèle serviteur de
Marie, que les
serviteurs fidèles de cette bonne Mère ont tant
d'occasions de
souffrir, et plus que les autres qui ne lui
sont pas si
dévots? On les contredit, on les persécute, on les
calomnie, on
ne les peut souffrir; ou bien ils marchent dans
les ténèbres
intérieures et des déserts où il n'y a pas la
moindre goutte
de rosée du ciel. Si cette dévotion à la Sainte
Vierge rend le
chemin pour trouver Jésus-Christ plus aisé,
d'où vient qu'ils
sont les plus crucifiés?
154. Je lui
réponds qu'il est bien vrai que les plus fidèles
serviteurs de
la Sainte Vierge, étant ses plus grands favoris,
reçoivent d'elle
les plus grandes grâces et faveurs du ciel,
qui sont les
croix; mais je soutiens que ce sont aussi ces
serviteurs de
Marie qui portent ces croix avec plus de
facilité, de
mérite et de gloire; et que ce qui arrêteriat
mille fois un
autre ou le ferait tomber, ne les arrête pas une
fois et les
fait avancer, parce que cette bonne Mère, toute
pleine de
grâce et de l'onction du Saint-Esprit, confit toutes
ces croix qu'elle
leur taille dans le sucre de sa douceur
maternelle et
dans l'onction du pur amour: en sorte qu'ils les
avalent
joyeusement comme des noix confites, quoiqu'elles
soient d'elles-mêmes
très amères. Et je crois qu'une personne
qui veut être
dévote et vivre pieusement en Jésus-Christ, et
par
conséquent souffir persécution et porter tous les jours sa
croix, ne
portera jamais de grandes croix, ou ne les portera
pas
joyeusement ni jusqu'à la fin sans une tendre dévotion à
la Sainte
Vierge, qui est la confiture des croix: tout de même
qu'une
personne ne pourra pas manger sans une grande violence,
qui ne sera
pas durable, des noix vertes sans être confites
dans le sucre.
[Cette dévotion
est un chemin court]
155. 2 Cette
dévotion à la Très Sainte Vierge est un chemin
court pour
trouver Jésus-Christ, soit parce qu'on ne s'y égare
point, soit
parce que, comme je viens de dire, on y marche
avec plus de
joie et de facilité, et, par conséquent, avec
plus de
promptitude. On avance plus, en peu de temps de
soumission et
de dépendance de Marie, que dans des années
entières de
propre volonté et d'appui sur soi-mêne; car un
homme
obésissant et soumis à la divine Marie chantera des
victoires
signalées sur tous ses ennemis. Ils voudront
l'empêcher de
marcher, ou le faire reculer, ou le faire
tomber, il est
vrai; mais, avec l'appui, l'aide et la conduite
de Marie, sans
tomber, sans reculer et même sans se retarder,
il avancera à
pas de géant vers Jésus-Christ, par le même
chemin par
lequel il est écrit que Jésus-Christ est venu vers
nous à pas de
géant et en peu de temps.
156. Pourquoi
pensez-vous que Jésus-Christ a si peu vécu sur
la terre, et
qu'en le peu d'années qu'il y a vécu, il a passé
presque toute
sa vie dans la soumission et l'obéissance à sa
Mère? Ah! c'est
qu'ayant été consommé en peu il a vécu
longtemps et
plus longtremps qu'Adam, dont il était venu
réparer les
pertes, quoiqu'il ait vécu plus de neuf cents ans;
et Jésus-Christ
a vécu longtemps, parce qu'il y a vécu soumis
et bien uni
avec sa sainte Mère pour obéir à Dieu son Père;
car: 1 celui
qui honore sa mère ressemble à un homme qui
thésaurise,
dit le Saint-Esprit, c'est-à-dire que celui qui
honore Marie
sa Mère jusqu'à se soumettre à elle, et lui obéir
en toutes
choses, deviendra bientôt bien riche, parce qu'il
amasse tous
les jours des trésors par le secret de cette
pierre
philosophale: Qui honorat matrem, quasi qui
thesaurizat; 2
parce que, selon une interprétation
spirituelle de
cette parole du Saint-Esprit: Senectus mea in
misericordia
uberi: Ma vieillesse se trouve dans la
miséricorde
du sein, c'est dans le sein de Marie, qui a
entouré et
engendré un homme parfait et qui a eu la capacité
de contenir
Celui que tout l'univers ne comprend ni ne
contient pas,
c'est dans le sein de Marie, dis-je, que les
jeunes gens
deviennent des vieillards en lumière, en sainteté,
en expérience
et en sagesse, et qu'on parvient en peu d'années
jusqu'à la
plénitude de l'âge de Jésus-Christ.
[Cette dévotion
est un chemin parfait]
157. 3 Cette
pratique de dévotion à la Très Sainte Vierge est
un chemin
parfait pour aller et s'unir à Jésus-Christ, puisque
la divine
Marie est la plus parfaite et la plus sainte des
pures
créatures, et que Jésus-Christ, qui est parfaitement
venu à nous n'a
point pris d'autre route de son grand et
admirable
voyage. Le Très-Haut, l'Incompréhensible,
l'Inaccessible,
Celui qui Est, a voulu venir à nous, petits
vers de terre,
qui ne sommes rien. Comment cela s'est-il fait?
Le Très-Haut
a descendu parfaitement et divinement par
l'humble Marie
jusqu'à nous, sans rien perdre de sa divinité
et sainteté;
et c'est par Marie que les très petits doivent
monter
parfaitement et divinement au Très-Haut sans rien
appréhender.
L'Incompréhensible
s'est laissé comprendre et contenir
parfaitement
par la petite Marie, sans rien perdre de son
immensité; c'est
aussi par la petite Marie que nous devons
nous laisser
contenir et conduire parfaitement sans aucune
réserve.
L'Inaccessible
s'est approché, s'est uni étroitement,
parfaitement
et même personnellement à notre humanité par
Marie, sans
rien perdre de sa Majesté; c'est aussi par Marie
que nous
devons approcher de Dieu et nous unir à sa Majesté
parfaitement
et étroitement, sans craindre d'être rebutés.
Enfin, Celui
qui Est a voulu venir à ce qui n'est pas, et
faire que ce
qui n'est pas devienne Dieu ou Celui qui Est; il
l'a fait
parfaitement en se donnant et se soumettant
entièrement
à la jeune Vierge Marie, sans cesser d'être dans
le temps Celui
qui Est de toute Eternité: de même, c'est par
Marie que,
quoique nous ne soyons rien, nous pouvons devenir
semblables à
Dieu par la grâce et la gloire, en nous donnant à
elle si
parfaitement et entièrement, que nous ne soyons rien
en nous-mêmes
et tout en elle, sans craindre de nous tromper.
158. Qu'on me
fasse un chemin nouveau pour aller à Jésus-
Christ, et que
ce chemin soit pavé de tous les mérites des
bienheureux,
orné de toutes leurs vertus héroïques, éclairé et
embelli de
toutes les lumières et beautés des anges, et que
tous les anges
et les saints y soient pour y conduire,
défendre et
soutenir ceux et celles qui y voudront marcher; en
vérité, en
vérité, je dis hardiment, et je dis la vérité, que
je prendrais
préférablement à ce chemin, qui serait si
parfait, la
voie immaculée de Marie: Posui immaculatam viam,
voie ou chemin
sans aucune tache ni souillure, sans péché
originel ni
actuel, sans ombres ni ténèbres; et si mon aimable
Jésus, dans
la gloire, vient une seconde fois sur la terre
(comme il est
certain) pour y régner, il ne choisira point
d'autre voie
de son voyage que la divine Marie, par laquelle
il est si
sûrement et parfaitement venu la première. La
différence qu'il
y aura entre sa première et dernière venue,
c'est que la
première a été secrète et cachée, la seconde sera
glorieuse et
éclatante; mais toutes deux parfaites, parce que
toutes deux
seront par Marie. Hélas! voici un mystère qu'on ne
comprend pas:
Hic taceat omnis lingua.
[Cette dévotion
est un chemin assuré]
159. 4 Cette
dévotion à la Très Sainte Vierge est un chemin
assuré pour
aller à Jésus-Christ et acquérir la perfection en
nous unissant
à lui:
1 Parce que
cette pratique que j'enseigne n'est pas
nouvelle; elle
est si ancienne qu'on ne peut, comme dit Mr.
Boudon, mort
depuis peu en odeur de sainteté, dans un livre
qu'il a fait
de cette dévotion, en marquer précisément les
commencements;
il est cependant certain que, depuis plus de
sept cents ans,
on en trouve des marques dans l'Eglise.
Saint Odilon,
abbé de Cluny, qui vivait environ l'an
1040, a été
un des premiers qui l'a pratiquée publiquement en
France, comme
il est marqué dans sa vie.
Le cardinal
Pierre Damien rapporte que, l'an 1076, le
bienheureux
Marin, son frère, se fit esclave de la Très Sainte
Vierge, en
présence de son directeur, d'une manière bien
édifiante:
car il se mit la corde au col, et prit la
discipline, et
mit sur l 'autel une somme d'argent pour
marquer son
dévouement et consécration à la Sainte Vierge, ce
qu'il continua
si fidèlement toute sa vie qu'il mérita à sa
mort d'être
visité et consolé par sa bonne Maîtresse, et de
recevoir de sa
bouche les promesses du paradis pour récompense
de ses
services.
Cesarius
Bollandus fait mention d'un illustre chevalier,
Vautier de
Birbak, proche parent des ducs de Louvain, qui,
environ l'an
1300, fit cette consécration de soi-même à la
Sainte Vierge.
Cette
dévotion a été pratiquée par plusieurs particuliers
jusqu'au XVII
siècle, où elle est devenue publique.
160. Le P. Simon
de Rojas, de l'Ordre de la Trinité, dit de la
rédemption
des captifs, prédicateur du roi Philippe III, mit
en vogue cette
dévotion par toute l'Espagne et l'Allemagne; et
obtint, à l'instance
de Philippe III, de Grégoire XV, de
grandes
indulgences à ceux qui la pratiqueraient.
Le R.P. de Los
Rios, de l'Ordre de Saint-Augustin,
s'appliqua
avec son intime ami, le Père de Rojas, à étendre
cette
dévotion par ses paroles et ses écrits dans l'Espagne et
l'Allemagne;
il composa un gros volume intitulé: Hierarchia
Mariana, dans
lequel il traite, avec autant de piété que
d'érudition,
de l'antiquité, de l'excellence et de la solidité
de cette
dévotion.
Les R. Pères
Théatins, au siècle dernier, établirent
cette
dévotion dans l'Italie, la Sicile et la Savoie.
161. Le R. Père
Stanislas Phalacius, de la Compagnie de Jésus,
avança
merveilleusement cette dévotion en Pologne.
Le Père de
Los Rios, dans son livre cité ci-dessus,
rapporte les
noms des princes, princesses, évêques et
cardinaux de
différents royaumes qui ont embrassé cette
dévotion.
Le R. Père
Cornelius a Lapide, aussi recommendable pour
sa piété que
pour sa science profonde, ayant reçu commission
de plusieurs
évêques et théologiens d'examiner cette dévotion,
après l'avoir
examinée mûrement, lui donna des louanges dignes
de sa piété,
et plusieurs autres grands personnages suivirent
son exemple.
Les R.Pères
Jésuites, toujours zélés au service de la
Très Sainte
Vierge, présentèrent au nom des congréganistes de
Cologne, un
petit traité de cette dévotion au duc Ferdinand de
Bavière, pour
lors archevêque de Cologne, qui lui donna son
approbation et
la permission de le faire imprimer, exhortant
tous les
curés et religieux de son diocèse d'avancer autant
qu'ils
pourraient cette solide dévotion.
162. Le cardinal
de Bérulle, dont la mémoire est en
bénédiction
par toute la France, fut un des plus zélés à
étendre en
France cette dévotion, malgré toutes les calomnies
et
persécutions que lui firent les critiques et les libertins.
Ils l'accusèrent
de nouveauté et de superstition; ils
écrivirent et
publièrent contre lui un écrit diffamatoire, et
ils se
servirent, ou plutôt le démon par leur ministère, de
mille ruses
pour l'empêcher d'étendre cette dévotion en
France. Mais
ce grand et saint homme ne répondit à leur
calomnie que
par sa patience, et à leurs objections contenues
dans leur
libelle par un petit écrit où il les réfute
puissamment,
en leur montrant que cette dévotion est fondée
sur l'exemple
de Jésus-Christ, sur les obligations que nous
lui avons, et
sur les voeux que nous avons faits au saint
baptême; et c'est
particulièrement par cette dernière raison
qu'il ferme la
bouche à ses adversaires, leur faisant voir que
cette
cnsécration à la Très Sainte Vierge, et à Jésus-Christ
par ses mains,
n'est autre qu'une parfaite rénovation des
voeux ou
promesses du baptême. Il dit plusieurs belles choses
sur cette
pratique, qu'on peut lire en ses ouvrages.
163. On peut lire
dans le livre de Mr. Boudon les différents
papes qui ont
approuvé cette dévotion, les théologiens qui
l'ont
examinée, et les persécutions qu'elle a eues et
vaincues, et
les milliers de personnes qui l'ont embrassée,
sans que
jamais aucun pape l'ait condamnée; et on ne le
pourrait pas
faire sans renverser les fondements du
christianisme.
Il reste donc
constant que cette dévotion n'est point
nouvelle, et
que si elle n'est pas commune, c'est qu'elle est
trop
précieuse pour être goûtée et pratiquée de tout le monde.
164. 2 Cette
dévotion est un moyen assuré pour aller à Jésus-
Christ, parce
que le propre de la Sainte Vierge est de nous
conduire
sûrement à Jésus-Christ, comme le propre de Jésus-
Christ est de
nous conduire sûrement au Père éternel. Et que
les spirituels
ne croient pas faussement que Marie leur soit
un
empêchement pour arriver à l'union divine. Car, serait-il
possible que
celle qui a trouvé grâce devant Dieu pour tout le
monde en
général et pour chacun en particulier, fût un
empêchement
à une âme pour trouver la grande grâce de l'union
avec lui?
Serait-il possible que celle qui a été toute pleine
et
surabondante de grâces, si unie et transformée en Dieu,
qu'il a fallu
qu'il se soit incarné en elle, empêchât qu'une
âme ne fût
parfaitement unie à Dieu?
Il est bien
vrai que la vue des autres créatures, quoique
saintes,
pourrait peut-être, en de certains temps, retarder
l'union divine;
mais non pas Marie comme j'ai dit et dirai
toujours sans
me lasser. Une raison pourquoi si peu d'âmes
arrivent à la
plenitude de l'âge de Jésus-Christ, c'est que
Marie, qui est,
autant que jamais, la Mère de Jésus-Christ et
l'Epouse
féconde du Saint-Esprit, n'est pas assez formée dans
leurs coeurs.
Qui veut avoir le fruit bien mûr et bien formé
doit avoir l'arbre
qui le produit; qui veut avoir le fruit de
vie, Jésus-Christ,
doit avoir l'arbre de vie, qui est Marie.
Qui veut avoir
en soi l'opération du Saint-Esprit, doit avoir
son Epouse
fidèle et indissoluble, la divine Marie, qui le
rend fertile
et fécond, comme nous avons dit ailleurs.
165. Soyez donc
persuadé que plus vous regarderez Marie en vos
oraisons,
contemplations, actions et souffrances, sinon d'une
vue distincte
et aperçue, du moins d'une vue générale et
imperceptible,
et plus parfaitement vous trouverez Jésus-
Christ qui est
toujours avec Marie, grand, puissant, opérant
et
incompréhensible, et plus que dans le ciel et en aucune
créature de l'univers.
Ainsi, bien loin que la divine Marie,
toute perdue
en Dieu, devienne un obstacle aux parfaits pour
arriver à l'union
avec Dieu, il n'y a point eu jusqu'ici et il
n'y aura
jamais de créature qui nous aidera plus efficacement
à ce grand
ouvrage, soit par les grâces qu'elle nous
communiquera
à cet effet, personne n'étant rempli de la pensée
de Dieu que
par elle, dit un saint: Nemo cogitatione Dei
repletur nisi
per te; soit par les illusions et tromperies du
malin esprit
dont elle vous garantira.
166. Là où est
Marie, là l'esprit malin n'est point; et une
des plus
infaillibles marques qu'on est conduit par le bon
esprit, c'est
quand on est bien dévot à Marie, qu'on pense
souvent à
elle, et qu'on en parle souvent. C'est la pensée
d'un saint qui
ajoute que, comme la respiration est une marque
certaine que
le corps n'est pas mort, la fréquente pensée et
invocation
amoureuse de Marie est une marque certaine que
l'âme n'est
pas morte par le péché.
167. Comme c'est
Marie seule, dit l'Eglise et le Saint-Esprit
qui la conduit,
qui a seule fait périr toutes les hérésies:
Sola cunctas
haereses interemisti in universo mundo; quoique
les critiques
en grondent, jamais un fidèle dévot de Marie ne
tombera dans l'hérésie
ou illusion du moins formelle; il
pourra bien
errer matériellement, prendre le mensonge pour la
vérité, et
le malin esprit pur le bon, quoique plus
difficilement
qu'un autre; mais il connaîtra tôt ou tard sa
faute et son
erreur matérielle; et quand il la connaîtra, il
ne s'opiniâtrera
en aucune manière à croire et à soutenir ce
qu'il avait
cru véritable.
168. Quiconque
donc, sans crainte d'illusion, qui est
ordinaire aux
personnes d'oraison, veut avancer dans la voie
de la
perfection et trouver sûrement et parfaitement Jésus-
Christ, qu'il
embrasse avec grand coeur, corde magno et animo
volenti, cette
dévotion à la Très Sainte Vierge, qu'il n'avait
peut-être pas
encore connue. Qu'il entre dans le chemin
excellent qui
lui était inconnu et que je lui montre:
Excellentiorem
viam vobis demonstro.
C'est un
chemin frayé par Jésus-Christ, la Sagesse
incarnée,
notre unique chef, le membre en y passant ne peut se
tromper. C'est
un chemin aisé, à cause de la plénitude de la
grâce et de l'onction
du Saint-Esprit qui le remplit; on ne se
lasse point ni
on ne recule point en y marchant. C'est un
chemin court,
qui, en peu de temps, nous mène à Jésus-Christ.
C'est un
chemin parfait, où il n'y a aucune boue, aucune
poussière, ni
la moindre ordure du péché. C'est enfin un
chemin assuré,
qui nous conduit à Jésus-Christ et à la vie
éternelle d'une
manière droite et assurée, sans détourner à
droite, ni à
gauche.
Entrons donc
dans ce chemin, et marchons-y jour et nuit,
jusqu'à la
plénitude de l'âge de Jésus-Christ.
[Cette dévotion donne une grande liberté intérieure]
169. Sixième
motif. - Cette pratique de dévotion donne une
grande
liberté intérieure, qui est la liberté des enfants de
Dieu, aux
personnes qui la pratiquent fidèlement. Car, comme
par cette
dévotion on se rend esclave de Jésus-Christ, en se
consacrant
tout à lui en cette qualité, ce bon Maître, pour
récompense de
la captivité amoureuse où on se met: 1 ôte tout
scrupule et
crainte servile de l'âme qui n'est capable que de
l'étrécir et
captiver et embrouiller; 2 il élargit le coeur
par une sainte
confiance en Dieu, le faisant regarder comme
son père; 3
il lui inspire un amour tendre et filial.
170. Sans m'arrêter
à prouver cette vérité par des raisons, je
me contente de
rapporter un trait d'histoire que j'ai lu dans
la Vie de la
Mère Agnès de Jésus, religieuse Jacobine, du
couvent de
Langeac, en Auvergne, et qui mourut en odeur de
sainteté au
même lieu, l'an 1634. N'ayant encore que sept ans
et souffrant
de grandes peines d'esprit, elle entendit une
voix qui lui
dit que, si elle voulait être délivrée de toutes
ses peines et
protégée contre tous ses ennemis, elle se fît au
plus tôt l'esclave
de Jésus et de sa sainte Mère. Elle ne fut
pas plus tôt
de retour à la maison qu'elle se donna tout
entière à
Jésus et à sa sainte Mère en cette qualité,
quoiqu'elle ne
sût pas auparavant ce que c'était que cette
dévotion; et,
ayant trouvé une chaine de fer, elle se la mit
sur ses reins
et la porta jusqu'à la mort. Et après cette
action, toutes
ses peines et scrupules cessèrent, et elle se
trouva dans
une grande paix et dilatation de coeur, ce qui
l'engagea à
enseigner cette dévotion à plusieurs autres qui y
ont fait de
grands progrès, entre autres à Mr. Olier,
instituteur du
Séminaire de Saint-Sulpice, et à plusieurs
prêtres et
ecclésiastiques du même séminaire... Un jour, la
Sainte Vierge
lui apparut et lui mit au col une chaîne d'or
pour lui
témoigner la joie qu'elle avait qu'elle se fût faite
l'esclave de
son Fils et la sienne: et sainte Cécile, qui
accompagnait
la Sainte Vierge, lui dit: Heureux ceux qui sont
les fidèles
esclaves de la Reine du ciel, car il jouiront de
la véritable
liberté: Tibi servire libertas.
[Cette dévotion
procure de grands biens au prochain]
171. Septième
motif. - Ce qui peut encore nous engager à
embrasser
cette pratique, ce sont les grands biens qu'en
recevra notre
prochain, car par cette pratique on exerce
envers lui la
charité d'une manière éminente, puisqu'on lui
donne, par les
mains de Marie, tout ce qu'on a de plus cher,
qui est la
valeur satisfactoire et impétratoire de toutes ses
bonnes oeuvres,
sans excepter la moindre bonne pensée et la
moindre petite
souffrance; on consent que tout ce qu'on a
acquis, et ce
qu'on acquerra, jusqu'à la mort, de
satisfactions
soit, selon la volonté de la Sainte Vierge,
employé ou à
la conversion des pécheurs ou à la délivrance des
âmes du
purgatoire.
N'est-ce pas
là aimer son prochain parfaitement? N'est-ce
pas là être
le véritable disciple de Jésus-Christ, qu'on
reconnait par
la charité? N'est-ce pas là le moyen de
convertir les
pécheurs, sans crainte de la vanité, et de
délivrer les
âmes du purgatoire, sans presque faire rien autre
que ce que
chacun est obligé de faire dans son état?
172. Pour
connaître l'excellence de ce motif, il faudrait
connaître
quel bien c'est que de convertir un pécheur ou
délivrer une
âme du purgatoire: bien infini, qui est plus
grand que de
créer le ciel et la terre, puisqu'on donne à une
âme la
possession de Dieu. Quand, par cette pratique, on ne
délivrerait
qu'une âme du purgatoire en toute sa vie, ou qu'on
ne
convertirait qu'un pécheur, n'en serait-ce pas assez pour
engager tout
homme vraiment charitable à l'embrasser?
Mais il faut
remarquer que nos bonnes oeuvres, passant
par les mains
de Marie, reçoivent une augmentation de pureté,
et par
conséquent de mérite et de valeur satisfactoire et
impétratoire:
c'est pourquoi elles deviennent beaucoup plus
capables de
soulager les âmes du purgatoire et de convertir
les pécheurs
que si elles ne passaient pas par les mains
virginales et
libérales de Marie. Le peu qu'on donne par la
Sainte vierge,
sans propre volonté, en vérité devient bien
puissant pour
fléchir la colère de Dieu et pour attirer sa
miséricorde;
et il se trouvera peut-être à la mort qu'une
personne bien
fidèle à cette pratique aura, par ce moyen,
délivré
plusieurs âmes du purgatoire et converti plusieurs
pécheurs,
quoiqu'elle n'ait fait que des actions de son état
assez
ordinaires. Quelle joie à son jugement! Quelle gloire
dans l'éternité!
[Cette dévotion
est un moyen admirable de persévérance]
173. Huitième
motif. - Enfin, ce qui nous engage plus
puissamment,
en quelque manière, à cette dévotion à la Très
Sainte Vierge,
c'est que c'est un moyen admirable pour
persévérer
dans la vertu et être fidèle. Car d'où vient est-ce
que la plupart
des conversions des pécheurs ne sont pas
durables? D'où
vient est-ce qu'on retombe si aisément dans le
péché? D'où
vient est-ce que la plupart des justes, au lieu
d'avancer de
vertu en vertu et acquérir de nouvelles grâces,
perdent
souvent le peu de vertus et de grâces qu'ils ont? Ce
malheur vient,
comme j'ai montré ci-devant, de ce que l'homme,
étant si
corrompu, si faible et si inconstant, se fie à lui-
même, s'appuie
sur ses propres forces et se croit capable de
garder le
trésor de ses grâces, de ses vertus et mérites.
Par cette
dévotion, on confie à la Sainte Vierge, qui est
fidèle, tout
ce qu'on possède; on la prend pour la dépositaire
universelle de
tous ses biens de nature et de grâce. C'est à
sa fidélité
que l'on se fie; c'est sur sa puissance que l'on
s'appuie, c'est
sur sa miséricorde et sa charité que l'on se
fonde, afin qu'elle
conserve et augmente nos vertus et
mérites,
malgré le diable, le monde et la chair, qui font
leurs efforts
pour nous les enlever. On lui dit, comme un bon
enfant à sa
mère, et un fidèle serviteur à sa maîtresse:
Depositum
custodi: Ma bonne Mère et Maîtresse, je reconnais
que j'ai jusqu'ici
plus reçu de grâces de Dieu par votre
intercession
que je ne mérite, et que ma funeste expérience
m'apprend que
je porte ce trésor en un vaisseau très fragile
et que je suis
trop faible et trop misérable pour les
conserver en
moi-même: adolescentulus sum ego et contemptus;
de grâce,
recevez en dépôt tout ce que je possède, et me le
conservez par
votre fidélité et votre puissance. Si vous me
gardez, je ne
perdrai rien; si vous me soutenez, je ne
tomberai point;
si vous me protégez, je suis à couvert de mes
ennemis.
174. C'est ce que
dit saint Bernard en termes formels, pour
nous inspirer
cette pratique: Lorsqu'elle vous soutient, vous
ne tombez
point; lorsqu'elle vous protège, vous ne craignez
point; lorsqu'elle
vous conduit, vous ne vous fatiguez point;
lorsqu'elle
vous est favorable, vous arrivez au port du salut:
Ipsa tenente,
non corruis; ipsa protegente, non metuis; ipsa
duce, non
fatigaris; ipsa propitia, pervenis (Serm. super
Missus). Saint
Bonaventure semble encore dire la même chose en
des termes
plus formels: La Sainte Vierge, dit-il, n'est pas
seulement
retenue dans la plénitude des saints; mais elle
retient encore
et garde les saints dans leur plénitude, afin
qu'elle ne
diminue point; elle empêche que leurs vertus ne se
perdent, que
leurs mérites ne périssent, que leurs grâces ne
se perdent,que
les démons ne leur nuisent; enfin, elle empêche
que Notre-Seigneur
ne les châtie quand ils pêchent: Virgo non
solum in
plenitudine sanctorum detinetur, sed etiam in
plenitudine
sanctos detinet, ne plenitudo minuatur; detinet
merita ne
pereant; detinet gratias ne effluant; detinet
daemones ne
noceant; detinet Filium ne peccatores percutiat.
175. La Très
Sainte Vierge est la Vierge fidèle qui, par sa
fidélité à
Dieu, répare les pertes qu'a faites Eve l'infidèle
par son
infidélité, et qui obtient la fidélité à Dieu et la
persévérance
à ceux et celles qui s'attachent à elle. C'est
pourquoi un
saint la compare à une ancre ferme, qui les
retient et les
empêche de faire naufrage dans la mer agitée de
ce monde où
tant de personnes périssent faute de s'attacher à
cette ancre
ferme: Nous attachons, dit-il, les âmes à votre
espérance
comme à une ancre ferme: Animas ad spem tuam sicut
ad firmam
anchoram alligamus. C'est à elle que les saints qui
se sont
sauvés se sont le plus attachés et ont attaché les
autres, afin
de persévérer dans la vertu. Heureux donc et
mille fois
heureux les chrétiens qui, maintenant, s'attachent
fidèlement et
entièrement à elle comme à une ancre ferme. Les
effets de l'orage
de ce monde ne les feront point submerger,
ni perdre
leurs trésors célestes. Heureux ceux et celles qui
entrent dans
elle comme dans l'arche de Noé! Les eaux du
déluge de
péchés, qui noient tant de monde, ne leur nuiront
point, car:
Qui operantur in me non peccabunt: Ceux qui sont
en moi pour
travailler à leur salut ne pécheront point, dit-
elle avec la
Sagesse. Heureux les enfants infidèles de la
malheureuse
Eve qui s'attachent à la Mère et Vierge fidèle,
qui demeure
toujours fidèle et ne se dément jamais: Fidelis
permanet, se
ipsam negare non potest, et qui aime toujours
ceux qui l'aiment:
Ego diligentes me diligo, non seulement
d'un amour
affectif, mais d'un amour effectif et efficace, en
les empêchant,
par une grande abondance de grâces, de reculer
dans la vertu
ou de tomber dans le chemin en perdant la grâce
de son Fils.
176. Cette bonne
Mère reçoit toujours, par pure charité, tout
ce qu'on lui
donne en dépôt; et, quand elle l'a une fois reçu
en qualité de
dépositaire, elle est obligée par justice, en
vertu du
contrat de dépôt, de nous le garder; tout comme une
personne à
qui j'aurais confié mille écus en dépôt serait
obligée de me
les garder, en sorte que si, par sa négligence,
mes mille
écus venaient à être perdus, elle en serait
responsable en
bonne justice. Mais non, jamais la fidèle Marie
ne laissera
perdre par sa négligence ce qu'on lui aura confié:
le ciel et la
terre passeraient plutôt qu'elle fût négligente
et infidèle
envers ceux qui se fient en elle.
177. Pauvres
enfants de Marie, votre faiblesse est extrème,
votre
inconstance est grande, votre fond est bien gâté. Je
l'avoue, vous
êtes tirés de la même masse corrompue des
enfants d'Adam
et d'Eve; mais ne vous découragez pas pour
cela; mais
consolez-vous; mais réjouissez-vous: voici le
secret que je
vous apprends, secret inconnu de presque tous
les chrétiens
même les plus dévots.
Ne laissez pas
votre or et votre argent dans vos coffres,
qui ont déjà
été enfoncés par l'esprit malin qui vous a volé,
et qui sont
trop petits, trop faibles et trop vieux pour
contenir un
trésor si grand et si précieux. Ne mettez pas
l'eau pure et
claire de la fontaine dans vos vaisseaux tout
gâtés et
infectés par le péché; si le péché n'y est plus, son
odeur y est
encore; l'eau en sera gâtée. Ne mettez pas vos
vins exquis
dans vos anciens tonneaux qui ont été remplis de
mauvais vins:
ils en seraient gâtés et en danger d'être
répandus.
178. Quoique vous
m'entendiez, âmes prédestinées, je parle
plus
ouvertement. Ne confiez pas l'or de votre charité,
l'argent de
votre pureté, les eaux des grâces célestes, ni les
vins de vos
mérites et vertus à un sac percé, à un coffre
vieux et
brisé, à un vaisseau gâté et corrompu comme vous
êtes;
autrement vous serez pillés par les voleurs, c'est-à-
dire les
démons qui cherchent et épient, nuit et jour, le
temps propre
pour le faire; autrement, vous gâterez, par votre
mauvaise odeur
d'amour de vous-même, de confiance en vous-même
et de propre
volonté, tout ce que Dieu vous donne de plus pur.
Mettez, versez
dans le sein et le coeur de Marie tous vos
trésors,
toutes vos grâces et vertus: c'est un vaisseau
d'esprit, c'est
un vaisseau d'honneur, c'est un vaisseau
insigne de
dévotion: Vas spirituale, vas honorabile, vas
insigne
devotionis. Depuis que Dieu même en personne s'est
enfermé avec
toutes ses perfections dans ce vaisseau, il est
devenu tout
spirituel et la demeure spirituelle des âmes les
plus
spirituelles; il est devenu honorable, et le tròne
d'honneur des
plus grands princes de l'éternité; il est devenu
insigne en
dévotion, et le séjour des plus illustres en
douceur, en
grâces et en vertus; il est enfin devenu riche
comme une
maison d'or, fort comme une tour de David et pur
comme une tour
d'ivoire.
179. Oh! qu'un
homme qui a tout donné à Marie, qui se confie
et perd en
tout et pour tout en Marie, est heureux! Il est
tout à Marie,
et Marie est tout à lui. Il peut dire hardiment
avec David:
Haec facta est mihi: Marie est faite pour moi; ou,
avec le
Disciple bien-aimé: Accepi eam in mea. Je l'ai prise
pour tout mon
bien, ou, avec Jésus-Christ: Omnia mea tua sunt,
et omnia tua
mea sunt: Tout ce que j'ai est à vous, et tout ce
que vous avez
est à moi.
180. Si quelque
critique, qui lira ceci, s'imagine que je
parle ici par
exagération et par une dévotion outrée, hélas il
ne m'entend
pas, soit parce qu'il est un homme charnel, qui ne
goûte point
les choses de l'esprit, soit parce qu'il est du
monde, qui ne
peut recevoir le Saint-Esprit, soit parce qu'il
est
orgueilleux et critique, qui condamne et méprise tout ce
qu'il n'entend
pas. Mais les âmes qui ne sont pas nées du
sang, ni de la
volonté de la chair, ni de la volonté de
l'homme, mais
de Dieu et de Marie, me comprennent et me
goûtent; et c'est
pour elles aussi que j'écris ceci.
181. Cependant je
dis pour les uns et les autres, en reprenant
ma matière
interrompue, que la divine Marie, étant la plus
honnête et la
plus libérale de toutes les pures créatures,
elle ne se
laisse jamais vaincre en amour et en libéralité; et
pour un oeuf,
dit un saint, qu'on lui donne, elle donne un
boeuf; c'est-à-dire,
pour peu qu'on lui donne, elle donne
beaucoup de ce
qu'elle a reçu de Dieu; et, par conséquent, si
une âme se
donne à elle sans réserve, elle se donne à cette
âme sans
réserve, si on met toute sa confiance en elle sans
présomption,
travaillant de son côté à acquérir les vertus et
à dompter ses
passions.
182. Que les
fidèles serviteurs de la Sainte Vierge disent
donc hardiment
avec saint Jean Damascène: "Ayant confiance en
vous, ô Mère
de Dieu, je serai sauvé; ayant votre protection,
je ne
craindrai rien; avec votre secours, je combattrai et
mettrai en
fuite mes ennemis: car votre dévotion est une arme
de salut que
Dieu donne à ceux qu'il veut sauver: Spem tuam
habens, o
Deipara, servabor; defensionem tuam possidens, non
timebo;
persequar inimicos meos et in fugam vertam, habens
protectionem
tuam et auxilium tuum; nam tibi devotum esse est
arma quaedam
salutis quae Deus his dat quos vult salvos fieri"
(Joan. Damas.,
ser. de Annuntiat).
[3. FIGURE
BIBLIQUE DE CETTE PARFAITE DEVOTION: REBECCA ET
JACOB]
183. De toutes les
vérités que je viens de décrire par rapport
à la Très
Sainte Vierge et à ses enfants et serviteurs, le
Saint-Esprit
nous donne, dans l'Ecriture Sainte, une figure
admirable dans
l'histoire de Jacob, qui reçut la bénédiction
de son père
Isaac par les soins et l'industrie de Rébecca sa
mère.
La voici comme
le Saint-Esprit la rapporte. Ensuite j'y
ajouterai son
explication.
[Histoire de Jacob]
184. Esaü ayant
vendu à Jacob son droit d'aînesse, Rébecca,
mère des deux
frères, qui aimait tendrement Jacob, lui assura
cet avantage,
plusieurs années après, par une adresse toute
sainte et
toute pleine de mystères. Car Isaac, se sentant fort
vieux et
voulant bénir ses enfants avant de mourir, appela son
fils Esaü qu'il
aimait, lui commanda d'aller à la chasse pour
avoir de quoi
manger, afin qu'il le benît ensuite. Rébecca
avertit
promptement Jacob de ce qui se passait et lui commanda
d'aller
prendre deux chevreaux dans le troupeau. Lorsqu'il les
eut donné à
sa mère, elle en prépara à Isaac, ce qu'elle
savait qu'il
aimait; elle revêtit Jacob des habits d'Esaü,
qu'elle
gardait, et couvrit ses mains et son cou de la peau
des chevreaux,
a fin que son père, qui ne voyait plus, pût, en
entendant la
parole de Jacob, croire au moins, par le poil de
ses mains, que
c'était Esaü son frère. Isaac, en effet, ayant
été surpris
de sa voix, qu'il croyait être la voix de Jacob,
le fit
approcher de lui, et ayant touché le poil des peaux
dont il s'était
couvert les mains, il dit que la voix, à la
vérité,
était la voix de Jacob, mais que les mains étaient les
mains d'Esaü.
Après qu'il eut mangé et qu'il eut s enti, en
baisant Jacob,
l'odeur de ses habits parfunés, il le bénit et
lui souhaita
la rosée du ciel et la fécondité de la terre; il
l'établit le
maître de tous ses frères, et finit sa
bénédiction
par ces paroles: "Que celui qui vous maudira soit
maudit lui-même,
et que celui qui vous bénira soit comblé de
bénédictions".
A peine Isaac
avait achevé ces paroles qu'Esaü entre et
apporte à
manger ce qu'il avait pris à la chasse, afin que son
père le
bénît ensuite. Ce saint patriarche fut surpris d'un
étonnement
incroyable lorsqu'il reconnut ce qui venait de se
passer; mais
bien loin de rétracter ce qu'il avait fait, il le
confirma, au
contraire, parce qu'il voyait trop sensiblement
le doigt de
Dieu en cette conduite. Esaü alors jeta des
rugissements,
comme marque l'Ecriture Sainte, et, accusant
hautement la
tromperie de don frère, il demanda à son père
s'il n'avait
qu'une seule bénédiction: étant en ce point,
comme le
remarquent les saint Pères, l'image de ceux qui,
étant bien
aises d'allier Dieu avec le monde, veulent jouir
tout ensemble
des consolations du ciel et de celles de la
terre. Isaac,
touché des cris d'Esaü, le bénit enfin, mais
d'une
bénédiction de la terre, et en l'assujetissant à son
frère: ce qui
lui fit concevoir une haine si envenimée contre
Jacob, qu'il n'attendait
plus que la mort de son père pour le
tuer et Jacob
n'aurait pu éviter la mort si sa chère mère
Rébecca ne l'en
eût garanti par ses industries et les bons
conseils qu'elle
lui donna et qu'il suivit.
[Interprétation de l'histoire de Jacob]
185. Auparavant d'expliquer
cette histoire, qui est si belle,
il faut
remarquer que, selon tous les saints Pères et les
interprètes
de l'Ecriture Sainte, Jacob est la figure de
Jésus-Christ
et des prédestinés, et Esaü celle des réprouvés.
Il ne faut qu'examiner
les actions et la conduite de l'un et
de l'autre
pour en juger.
1 Esaü, l'aîné,
était fort et robuste de corps et
industrieux à
tirer de l'arc et à prendre beaucoup de gibier à
la chasse.
2 Il ne
restait quasi point à la maison, et, ne mettant
sa confiance
qu'en sa force et son adresse, il ne travaillait
qu'au dehors.
3 Il ne se
mettait pas beaucoup en peine de plaire à sa
mère Rébecca,
et il ne faisait rien pour cela.
4 Il était si
gourmand, et aimait tant sa bouche, qu'il
vendit son
droit d'aînesse pour un plat de lentilles.
5 Il était,
comme Caïn, plein d'envie contre son frère
Jacob et il le
persécutait à outrance.
186. Voilà la
conduite que gardent les réprouvés tous les
jours.
1 Ils se fient
en leur force et leurs industries pour
les affaires
temporelles; ils sont très forts, très habiles et
très
éclairés pour les choses de la terre, mais très faibles
et très
ignorants dans les choses du ciel: In terrenis fortes,
in coelestibus
debiles. C'est pourquoi:
187. 2 Ils ne
demeurent point ou très peu chez eux, dans leur
maison propre,
c'est-à-dire dans leur intérieur, qui est la
maison
intérieure et essentielle que Dieu a donné à chaque
homme pour y
demeurer à son exemple: car Dieu demeure toujours
chez soi. Les
réprouvés n'aiment point la retraite, ni la
spiritualité,
ni la dévotion intérieure, et ils traitent de
petits esprits,
de bigots et de sauvages ceux qui sont
intérieurs et
retirés du monde, et qui travaillent plus au
dedans qu'au
dehors.
188. 3 Les
réprouvés ne se soucient guère de la dévotion à la
Sainte Vierge,
la Mère des prédestinés; il est vrai qu'ils ne
la haïssent
pas formellement, ils lui donnent quelquefois des
louanges, ils
disent qu'ils l'aiment et ils pratiquent même
quelque
dévotion en son honneur; mais, au reste, ils ne
sauraient
souffrir qu'on l'aime tendrement, parce qu'ils n'ont
point pour
elle les tendresses de Jacob; ils trouvent à redire
aux pratiques
de dévotion auxquelles ses bons enfants et
serviteurs se
rendent fidèles pour gagner son affection, parce
qu'ils ne
croient pas que cette dévotion leur soit nécessaire
au salut, et
que, pourvu qu'ils ne haïssent pas formellement
la Sainte
Vierge, ou qu'ils ne méprisent pas ouvertement sa
dévotion, c'en
est assez, et ils ont gagné les bonnes grâces
de la Sainte
Vierge, ils sont ses serviteurs, en récitant et
marmottant
quelques oraisons en son honneur, sans tendresse
pour elle ni
amendement pour eux-mêmes.
189. 4 Les
réprouvés vendent leur droit d'aînesse, c'est-à-
dire les
plaisirs du paradis pour un plat de lentilles, c'est-
à-dire pour
les plaisirs de la terre. Ils rient, ils boivent,
ils mangent,
ils se divertissent, ils jouent, ils dansent,
etc., sans se
mettre en peine, comme Esaü, de se rendre dignes
de la
bénédiction du Père céleste. En trois mots, ils ne
pensent qu'à
la terre, ils n'aiment que la terre, ils ne
parlent et n'agissent
que pour la terre et ses plaisirs,
vendant pour
un petit moment de plaisir, pour une vaine fumée
d'honneur, et
pour un morceau de terre dure, jaune ou blanche,
la grâce
baptismale, leur robe d'innocence, leur héritage
céleste.
190. 5 Enfin, les
réprouvés haïssent et persécutent tous les
jours les
prédestinés, ouvertement ou secrètement; ils les
méprisent,
ils les critiquent, ils les contrefont, ils les
injurient, ils
les volent, ils les trompent, ils les
appauvrissent,
ils les chassent, ils les réduisent dans la
poussière;
tandis qu'ils font fortune, qu'ils prennent leurs
plaisirs, qu'ils
sont en belle passe, qu'ils s'enrichissent,
qu'ils s'agrandissent
et vivent à leur aise.
191. 1 Jacob, le
cadet, était d'une faible complexion, doux
et paisible,
et demeurait ordinairement à la maison pour
gagner les
bonnes grâces de sa mère Rébecca, qu'il aimait
tendrement; s'il
sortait dehors, ce n'était pas par sa propre
volonté, ni
par la confiance qu'il eût en son industrie, mais
pour obéir à
sa mère.
192. 2 Il aimait
et honorait sa mère: c'est pourquoi il se
tenait à la
maison auprès d'elle; il n'était pas plus content
que lorsqu'il
la voyait; il évitait tout ce qui pouvait lui
déplaire: ce
qui augmentait en Rébecca l'amour qu'elle lui
portait.
193. 3 Il était
soumis en toutes choses à sa chère mère, il
lui obéissait
entièrement en toutes choses, promptement sans
tarder, et
amoureusement sans se plaindre; au moindre signe de
sa volonté,
le petit Jacob courait et travaillait. Il croyait
tout ce qu'elle
lui disait, sans raisonner: par exemple, quand
elle lui dit
qu'il allât chercher deux chevreaux, et qu'il les
lui apportât
pour apprêter à manger à son père Isaac, Jacob ne
lui répliqua
point qu'il y en avait assez d'un pour apprêter
une fois à
manger à un seul homme; mais, sans raisonner, il
fit ce qu'elle
lui avait dit.
194. 4 Il avait
une grande confiance en sa chère mère; comme
il ne s'appuyait
point du tout sur son savoir-faire, il
s'appuyait
uniquement sur les soins et la protection de sa
mère; il la
réclamait en tous ses besoins, et il la consultait
en tous ses
doutes: par exemple, quand il lui demanda si, au
lieu de la
bénédiction, il ne recevrait point la malédiction
de son père,
il la crut et se confia en elle, quand elle lui
dit qu'elle
prenait sur elle cette malédiction.
195. 5 Enfin, il
imitait selon sa portée les vertus qu'il
voyait en sa
mère; et il semble qu'une des raisons pourquoi il
demeurait
sédentaire à la maison, c'était pour imiter sa chère
mère, qui
était si vertueuse, et pour s'éloigner des mauvaises
compagnies,
qui corrompent les moeurs. Par ce moyen, il se
rendit digne
de recevoir la double bénédiction de son père.
196. Voilà aussi
la conduite que gardent tous les jours les
prédestinés:
1 Ils sont
sédentaires à la maison avec leur mère,
c'est-à-dire,
ils aiment la retraite, ils sont intérieurs, ils
s'appliquent
à l'oraison, mais à l'exemple et dans la
compagnie de
leur Mère, la Sainte Vierge, dont toute la
gloire est au-dedans,
et qui, pendant toute sa vie, a aimé la
retraite et l'oraison.
Il est vrai qu'ils paraissent
quelquefois au
dehors dans le monde; mais c'est par obéissance
à la volonté
de Dieu et à celle de leur chère Mère, pour
remplir les
devoirs de leur état. Quelques grandes choses en
apparence qu'ils
fassent au dehors, ils estiment encore
beaucoup plus
celles qu'ils font au dedans d'eux-mêmes, dans
leur
intérieur, en compagnie de la Très Sainte Vierge, parce
qu'ils y font
le grand ouvrage de leur perfection, auprès
duquel tous
les autres ouvrages ne sont que des jeux
d'enfants. C'est
pourquoi, tandis quelquefois que leurs frères
et soeurs
travaillent pour le dehors avec beaucoup de force,
d'industrie et
de succès, dans la louange et approbation du
monde, ils
connaissent, par la lumière du Saint-Esprit, qu'il
y a beaucoup
plus de gloire, de bien et de plaisir à demeurer
caché dans la
retraite avec Jésus-Christ, leur modèle, dans
une entière
et parfaite soumission à leur Mère, que de faire
par soi-même
des merveilles de nature et de grâce dans le
monde, comme
tant d'Esaü et de réprouvés. Gloria et divitiae
in domo ejus:
la gloire pour Dieu et les richesses pour
l'homme se
trouvent dans la maison de Marie.
Seigneur
Jésus, que vos tabernacles sont aimables! Le
passereau a
trouvé une maison pour se loger et la tourterelle
un nid pour
mettre ses petits. Oh! qu'heureux est l'homme qui
demeure dans
la maison de Marie, où vous avez le premier fait
votre demeure!
C'est en cette maison des prédestinés qu'il
reçoit son
secours de vous seul, et qu'il a disposé des
montées et
des degrés de toutes les vertus dans son coeur,
pour s'élever
à la perfection dans cette vallée de larmes!
Quam dilecta
tabernacula, etc.
197. 2 Ils aiment
tendrement et honorent véritablement la
Très Sainte
Vierge comme leur bonne Mère et Maîtresse. Ils
l'aiment non
seulement de bouche, mais en vérité; ils
l'honorent non
seulement à l'extérieur, mais dans le fond du
coeur; ils
évitent, comme Jacob, tout ce qui lui peut
déplaire, et
pratiquent avec ferveur tout ce qu'ils croient
pouvoir leur
acquérir sa bienveillance. Ils lui apportent et
lui donnent,
non deux chevreaux, comme Jacob à Rébecca, mais
leur corps et
leur âme, avec tout ce qui en dépend, figurés
par les deux
chevreaux de Jacob, afin: 1 qu'elle les reçoive
comme une
chose qui lui appartient; 2 afin qu'elle les tue et
les fasse
mourir au péché et à eux-mêmes, en les écorchant et
dépouillant
de leur propre peau et de leur amour-propre, et,
par ce moyen,
pour plaire à Jésus, son Fils, qui ne veut pour
ses amis et
disciples que des morts à eux-mêmes; 3 afin
qu'elle les
apprête au goût du Père céleste, et à sa plus
grande gloire,
qu'elle connaît mieux qu'aucune créature; 4
afin que, par
ses soins et ses intercessions, ce corps et
cette âme,
bien purifiés de toute tache, bien morts, bien
dépouil lés
et bien apprêtés, soient un mets délicat, digne de
la bouche et
de la bénédiction du Père céleste. N'est-ce pas
ce que feront
les personnes prédestinées qui goûteront et
pratiqueront
la consécration parfaite à Jésus-Christ par les
mains de Marie,
que nous leur enseignons, pour témoigner à
Jésus et à
Marie un amour effectif et courageux?
Les
réprouvés disent assez qu'ils aiment Jésus, qu'ils
aiment et qu'ils
honorent Marie, mais non pas de leur
substance,
mais non pas jusqu'à leur sacrifier leurs corps
avec ses sens
et leur âme avec ses passions, comme les
prédestinés.
198. 3 Ils sont
soumis et obéissants à la Sainte Vierge,
comme à leur
bonne Mère à l'exemple de Jésus-Christ, qui, de
trente et
trois ans qu'il a vécu sur la terre, en a employé
trente à
glorifier Dieu son Père, par une parfaite et entière
soumission à
sa sainte Mère. Ils lui obéissent en suivant
exactement ses
conseils, comme le petit Jacob ceux de Rébecca,
à qui elle
dit: Acquiesce consiliis meis. Mon fils suivez mes
conseils; ou
comme les conviés des noces de Cana, auxquels la
Sainte Vierge
dit: Quodcumque dixerit vobis facite: Faites
tout ce que
mon Fils vous dira. Jacob, pour avoir obéi à sa
mère, reçut
la bénédiction comme par miracle, quoique
naturellement
il ne dût pas l'avoir; les conviés aux noces de
Cana, pour
avoir suivi le conseil de la Sainte Vierge, furent
honorés du
premier miracle de Jésus-Christ, qui y convertit
l'eau en vin,
à la prière de sa sainte Mère. De même, tous
ceux qui,
jusqu'à la fin des siècles, recevront la bénédiction
du Père
céleste et seront honorés des merveilles de Dieu, ne
recevront ces
grâces qu'en conséquence de leur parfaite
obéisssance
à Marie. Les Esaü, au contraire, perdent leur
bénédiction,
faute de soumission à la Sainte Vierge.
199. 4 Ils ont une
grande confiance dans la bonté et la
puissance de
la Très Sainte Vierge, leur bonne Mère; ils
réclament
sans cesse son secours; ils la regardent comme leur
étoile
polaire, pour arriver à bon port; ils lui découvrent
leurs peines
et leurs besoins avec beaucoup d'ouverture de
coeur; ils s'attachent
à ses mamelles de miséricorde et de
douceur, pour
avoir le pardon de leurs péchés par son
intercession
ou pour goûter ses douceurs maternelles dans
leurs peines
et leurs ennuis. Ils se jettent même, se cachent
et se perdent
d'une manière admirable dans son sein amoureux
et virginal,
pour y être embrasés du pur amour, pour y être
purifiés des
moindres taches et pour y trouver pleinement
Jésus, qui y
réside comme dans son plus glorieux trône. Oh!
quel bonheur!
Ne croyez pas, dit l'abbé Guerric, qu'il y ait
plus de
bonheur d'habiter dans le sein d'Abraham que dans le
sein de Marie,
puisque le Seigneur y a placé son trône: Ne
credideris
majoris esse felicitatis habitare in sinu Abrahae
quam in sinu
Mariae, cum in eo Dominus posuerit thronum suum.
Les
réprouvés, au contraire, mettent tout leur confiance
en eux-mêmes,
ne mangeant, avec l'enfant prodigue, que ce que
mangent les
cochons, ne se nourrissant avec les crapauds que
de la terre et
n'aimant que les choses visibles et
extérieures,
avec les mondains, ils ne goûtent point les
douceurs du
sein et des mamelles de Marie; ils ne sentent
point un
certain appui et une certaine confiance que les
prédestinés
sentent pour la Sainte Vierge, leur bonne Mère.
Ils aiment
misérablement leur faim au dehors, comme dit saint
Grégoire,
parce qu'ils ne veulent pas goûter la douceur qui
est toute
préparée au dedans d'eux-mêmes et au dedans de Jésus
et de Marie.
200. 5 Enfin, les
prédestinés gardent les voies de la Sainte
Vierge, leur
bonne Mère, c'est-à-dire: ils l'imitent, et c'est
en cela qu'ils
sont vraiment heureux et dévots, et qu'ils
portent la
marque infaillible de leur prédestination, comme
leur dit cette
bonne Mère: Beati qui custodiunt vias meas:
c'est-à-dire,
bienheureux ceux qui pratiquent mes vertus et
qui marchent
sur les traces de ma vie, avec le secours de la
divine grâce.
Ils sont heureux dans ce monde, pendant leur
vie, par l'abondance
des grâces et des douceurs que je leur
communique de
ma plénitude, et plus abondamment qu'aux autres
qui ne m'imitent
pas de si près; ils sont heureux dans leur
mort, qui est
douce et tranquille, et à laquelle j'assiste
ordinairement,
pour les conduire moi-même dans les joies de
l'éternité;
enfin, ils seront heureux dans l'éternité, parce
que jamais
aucun de mes bons serviteurs, qui a imité mes
vertus pendant
sa vie, n'a été perdu.
Les
réprouvés, au contraire, sont malheureux pendant leur
vie, à leur
mort et dans l'éternité, parce qu'ils n'imitent
point la Très
Sainte Vierge dans ses vertus, se contentant de
se mettre
quelquefois de ses confréries, de réciter quelques
prières en
son honneur ou de faire quelque autre dévotion
extérieure.
O Sainte
Vierge, ma bonne Mère, qu'heureux sont ceux, je
le répète
avec les transports de mon coeur, qu'heureux sont
ceux et celles
qui, ne se laissant point séduire par une
fausse
dévotion envers vous, gardent fidèlement vos voies, vos
conseils et
vos ordres! Mais que malheureux et maudits sont
ceux qui,
abusant de votre dévotion, ne gardent pas les
commandements
de votre Fils: Maledicti omnes qui declinant a
mandatis tuis.
[Devoirs
charitables que la Saine Vierge rend à ses fidèles
serviteurs]
201. Voici
présentement les devoirs charitables que la Sainte
Vierge, comme
la meilleure de toutes les mères, rend à ces
fidèles
serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière
que j'ai dit,
et selon la figure de Jacob.
1. Elle les
aime.
Ego diligentes
me diligo: J'aime ceux qui m'aiment. Elle
les aime: 1.
parce qu'elle est leur Mère véritable: or, une
mère aime
toujours son enfant, le fruit de ses entrailles; 2.
elle les aime
par reconnaissance, parce qu'effectivement ils
l'aiment comme
leur bonne Mère; 3. elle les aime parce
qu'étant
prédestinés, Dieu les aime: Jacob dilexi, Esau autem
odio habui, 4.
elle les aime parce qu'ils se sont tout
consacrés à
elle, et qu'ils sont sa portion et son héritage:
In Israel
haereditare.
202. Elle les aime
tendrement, et plus tendrement que toutes
les mères
ensemble. Mettez, si vous pouvez, tout l'amour
naturel que
les mères de tout le monde ont pour leurs enfants,
dans un même
coeur d'une mère pour un enfant unique:
certainement
cette mère aimera beaucoup cet enfant; cependant,
il est vrai
que Marie aime encore plus tendrement ses enfants
que cette
mère n'aimerait le sien.
Elle ne les
aime pas seulement avec affection, mais avec
efficace. Son
amour pour eux est actif et effectif, comme
celui et plus
que celui de Rébecca pour Jacob. Voici ce que
cette bonne
Mère, dont Rébecca n'était que la figure, fait
pour obtenir
à ses enfants la bénédiction du Père céleste:
203. 1 Elle épie,
comme Rébecca, les occasions favorables de
leur faire du
bien, de les agrandir et enrichir. Comme elle
voit
clairement en Dieu tous les biens et tous les maux, les
bonnes et les
mauvaises fortunes, elle dispose de loin les
choses pour
exempter de toutes sortes de maux ses serviteurs
et les combler
de toutes sortes de biens; en sorte que, s'il y
a une bonne
fortune à faire en Dieu, par la fidélité d'une
créature à
quelque haut emploi, il est sûr que Marie procurera
cette bonne
fortune à quelqu'un de ses bons enfants et
serviteurs, et
leur donnera la grâce pour en venir à bout avec
fidélité:
Ipsa procurat negocia nostra, dit un saint.
204. 2 Elle leur
donne de bons conseils, comme Rébecca à
Jacob: Fili
mio, acquiesce consiliis meis: Mon fils, suis mes
conseils. Et,
entre autres conseils, elle leur inspire de lui
apporter deux
chevreaux, c'est-à-dire leur corps et leur âme,
de les lui
consacrer pour en faire un ragoût qui soit agréable
à Dieu, et de
faire tout ce que Jésus-Christ, son Fils, a
enseigné par
ses paroles et ses exemples. Si ce n'est pas par
elle-même qu'elle
leur donne ces conseils, c'est par le
ministère des
anges, qui n'ont pas de plus grand honneur et
plaisir que d'obéir
à quelqu'un de ses commandements pour
descendre sur
terre et secourir quelqu'un de ses serviteurs.
205. 3 Quand on
lui a apporté et consacré son corps et son
âme et tout
ce qui en dépend, sans rien excepter, que fait
cette bonne
Mère? Ce que fit autrefois Rébecca aux deux
chevreaux que
lui apporta Jacob: 1. elle les tue et fait
mourir à la
vie du vieil Adam; 2. elle les écorche et
dépouille de
leur peau naturelle, de leurs inclinations
naturelles, de
leur amour-propre et propre volonté et de toute
attache à la
créature; 3. elle les purifie de leurs taches et
ordures et
péchés; 4. elle les apprête au goût de Dieu et à sa
plus grande
gloire. Comme il n'y a qu'elle qui sait
parfaitement
ce goût divin et cette plus grande gloire du
Très-Haut, il
n'y a qu'elle qui, sans se tromper, peut
accommoder et
apprêter notre corps et notre âme à ce goût
infiniment
relevé et à cette gloire infiniment cachée.
206. 4 Cette bonne
Mère, ayant reçu l'offrande parfaite que
nous lui avons
faite de nous-mêmes et de nos propres mérites
et
satisfactions, par la dévotion dont j'ai parlé, et nous
ayant
dépouillés de nos vieux habits, elle nous approprie et
nous rend
dignes de paraître devant notre Père céleste. 1.
Elle nous
revêt des habits propres, neufs, précieux et
parfumés d'Esaü
l'aîné, c'est-à-dire de Jésus-Christ, son
Fils, qu'elle
garde dans sa maison, c'est-à-dire qu'elle a
dans sa
puissance, étant la trésorière et la dispensatrice
unique et
éternelle des mérites et des vertus de son Fils,
Jésus-Christ,
qu'elle donne et communique à qui elle veut,
quand elle
veut, comme elle veut et autant qu'elle veut, comme
nous avons vu
ci-devant. 2. Elle entoure le cou et les mains
de ses
serviteurs des peaux de chevreaux tués et écorchés;
c'est-à-dire,
elle les orne des mérites et de la valeur de
leurs propres
actions. Elle tue et mortifie, à la vérité, tout
ce qu'il y a d'impur
et d'imparfait en leurs personnes; mais
elle ne perd
et ne dissipe pas tout le bien que la grâce y a
fait; elle le
garde et l'augmente pour en faire l'ornement et
la force de
leur cou et de leurs mains; c'est-à-dire pour les
fortifier à
porter le joug du Seigneur, qui se porte sur le
cou, et
opérer de grandes choses pour la gloire de Dieu et le
salut de leurs
pauvres frères. 3. Elle donne un nouveau parfum
et une
nouvelle grâce à ces habits et ornements en leur
communiquant
ses propres habits; ses mérites et ses vertus,
qu'elle leur a
légués en mourant, par testament, comme dit un
sainte
religieuse du siècle dernier, morte en odeur de
sainteté, et
qui l'a su par révélation; en sorte que tous ses
domestiques,
ses fidèles serviteurs et esclaves sont
doublement
vêtus, des habits de son Fils et des siens propres:
Omnes
domestici ejus vestiti sunt duplicibus: c'est pourquoi
ils n'ont rien
à craindre du froid de Jésus-Christ, blanc,
comme la neige,
que les réprouvés tout nus et dépouillés des
mérites de
Jésus-Christ et de la Sainte Vierge ne pourront
soutenir.
207. 5 Elle leur
fait enfin obtenir la bénédiction du Père
céleste,
quoique, n'étant que les puînés et les enfants
adoptifs, ils
ne dussent pas naturellement l'avoir. Avec ces
habits tout
neufs, très précieux et de très bonne odeur, et
avec leur
corps et leur âme bien préparés et apprêtés, ils
s'approchent
en confiance du lit de repos de leur Père
céleste. Il
entend et distingue leur voix, qui est celle du
pécheur; il
touche leurs mains couvertes de peaux; il sent la
bonne odeur de
leurs habits; il mange avec joie de ce que
Marie, leur
Mère, lui a apprêté; et reconnaissant en eux les
mérites et la
bonne odeur de son Fils et de sa sainte Mère: 1.
il leur donne
sa double bénédiction; bénédiction de la rosée
du ciel: De
rore coelesti, c'est-à-dire de la grâce divine qui
est semence de
la gloire: Benedixit nos omni benedictione
spirituali in
Christo Jesu; bénédiction de la graisse de la
terre: De
pinguedine terrae, c'est-à-dire que ce bon Père leur
donne leur
pain quotidien et une suffisante abondance des
biens de ce
monde; 2. il les rend maîtres de leurs autres
frères, les
réprouvés: non pas que cette primauté paraisse
toujours dans
ce monde qui passe en un instant, où souvent les
réprouvés
dominent: Peccatores effabuntur et gloriabuntur.
Vidi impium
superexaltatum et elevatum; mais elle est pourtant
véritable, et
elle paraîtra manifestement dans l'autre monde,
à toute
éternité, où les justes, comme dit le Saint-Esprit,
domineront et
commanderont aux mations: Dominabuntur populis.
3. Sa Majesté,
non contente de les bénir en leurs personnes et
en leurs biens,
bénit encore tous ceux qui les béniront, et
maudit tout
ceux qui les maudiront et persécuteront.
[Elle les
entretient de tout]
208. Le second
devoir de charité que la Sainte Vierge exerce
envers ses
fidèles serviteurs, c'est qu'elle les entretient de
tout pour le
corps et pour l'âme. Elle leur donne des habits
doublés,
comme nous venons de voir; elle leur donne à manger
les mets les
plus excellents de la table de Dieu; elle leur
donne à
manger le pain de vie, qu'elle a formé; A
generationibus
meis implemini: mes chers enfants, leur dit-
elle, sous le
nom de la Sagesse, remplissez-vous de mes
générations,
c'est-à-dire de Jésus, le fruit de vie, que j'ai
mis au monde
pour vous. - Venite, comedite panem meum et
bibite vinum
quod miscui vobis; comedite, et bibite, et
inebriamini,
carissimi: Venez, leur répète-t-elle en un autre
endroit,
manger mon pain, qui est Jésus, et buvez le vin de
son amour, que
je vous ai mêlé avec le lait de mes mamelles.
Comme c'est
elle qui est la trésorière et la dispensatrice des
dons et des
grâces du Très-Haut, elle en donne une bonne
portion, et la
meilleure, pour nourrir et entretenir ses
enfants et
serviteurs. Ils sont engraissés du pain vivant, ils
sont enivrés
du vin qui germe les vierges. Ils sont portés à
la mamelle: Ad
ubera portabimini. Ils ont tant de facilité à
porter le joug
de Jésus-Christ qu'ils n'en sentent pas la
pesanteur, à
cause de l'huile de la dévotion dont elle le fait
pourrir: Jugum
eorum putrescere faciet a facie olei.
[3. Elle les
conduit et dirige]
209. Le
troisième bien que la Sainte Vierge fait à ses fidèles
serviteurs, c'est
qu'elle les conduit et dirige selon la
volonté de
son Fils. Rébecca conduisait son petit Jacob et lui
donnait de
temps en temps de bons avis, soit pour attirer sur
lui la
bénédiction de son père, soit pour éviter la haine et
la
persécution de son frère Esaü. Marie, qui est l'étoile de
la mer,
conduit tous ses fidèles serviteurs à bon port; elle
leur montre
les chemins de la vie éternelle; elle leur fait
éviter les
pas dangereux; elle les conduit par la main dans
les sentiers
de la justice; elle les soutient quand ils sont
prêts de
tomber; elle les relève quand ils sont tombés; elle
les reprend,
en mère charitable, quand ils manquent; et
quelquefois
même, elle les châtie amoureusement. Un enfant
obéissant à
Marie, sa mère nourrice et sa directrice
éclairée,
peut-il s'égarer dans les chemins de l'éternité?
Ipsam sequens,
non devias. En la suivant, dit saint Bernard,
vous ne vous
égarez point. Ne craignez pas qu'un véritable
enfant de
Marie soit trompé par le malin et tombe en quelque
hérésie
formelle. Là où est la conduite de Marie, là ni le
malin esprit
avec ses illusions, ni les hérétiques avec leurs
finesses ne se
trouvent: Ipsa tenente, non corruis.
[4. Elle les
défend et protège]
210. Le
quatrième bon office que la Sainte Vierge rend à ses
enfants et
fidèles serviteurs, c'est qu'elle les défend et
protège
contre leurs ennemis. Rébecca, par ses soins et ses
industries,
délivra Jacob de tous les dangers où il se trouva,
et
particulièrement de la mort que son frère Esaü lui aurait
apparemment
donnée par la haine et l'envie qu'il lui portait,
comme
autrefois Caïn à son frère Abel. Marie, la bonne Mère
des
prédestinés, les cache sous les ailes de sa protection,
comme une
poule ses poussins; elle parle, elle s'abaisse à
eux, elle
condescend à toutes leurs faiblesses; elle se met
autour d'eux
et les accompagne comme une armée rangée en
bataille: ut
castrorum acies ordinata. Un homme entouré d'une
armée bien
rangée de cent mille hommes, peut-il craindre ses
ennemis? Un
fidèle serviteur de Marie, entouré de sa
protection et
de sa puissance impériale, a encore moins à
craindre.
Cette bonne Mère et Princesse puissante des cieux
dépêcherait
plutôt des bataillons de millions d'anges pour
secourir un de
ses serviteurs qu'il ne fût jamais dit qu'un
fidèle
serviteur de Marie, qui s'est confié en elle, a
succombé à
la malice, au nombre et à la force de ses ennemis.
[5. Elle
intercède pour eux]
211. Enfin, le
cinquième et le plus grand bien que l'aimable
Marie procure
à ses fidèles dévots, c'est qu'elle intercède
pour eux
auprès de son Fils, et l'apaise par ses prières, et
elle les unit
à lui d'un lien très intime et les y conserve.
Rébecca fit
approcher Jacob du lit de son père; et le bon
homme le
toucha, l'embrassa, et le baisa même avec joie, étant
content et
rassasié des viandes bien apprêtées qu'il lui avait
apportées; et
ayant senti avec beaucoup de contentement les
parfums exquis
de ses vêtements, il s'écria: Ecce odor filii
mei sicut odor
agri pleni, cui benedixit Dominus: Voici
l'odeur de mon
fils, qui est comme l'odeur d'un champ plein,
que le
Seigneur a béni. Ce champ plein, dont l'odeur charma le
coeur du père,
n'est autre que l'odeur des vertus et des
mérites de
Marie, qui est un champ plein de grâce, où Dieu le
Père a semé,
come un grain de froment des élus, son Fils
unique.
Oh! qu'un
enfant parfumé de la bonne odeur de Marie est
bienvenu
auprès de Jésus-Christ, qui est le Père du siècle à
venir! Oh! qu'il
lui est promptement et parfaitement uni! Nous
l'avons
montré plus au long ci-devant. [152-168]
212. De plus,
après qu'elle a comblé ses enfants et ses
fidèles
serviteurs de ses faveurs, qu'elle leur a obtenu la
bénédiction
du Père céleste et l'union avec Jésus-Christ, elle
les conserve
en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux; elle les
garde et elle
les veille toujours, de peur qu'ils ne perdent
la grâce de
Dieu et ne tombent dans les pièges de leurs
ennemis: In
plenitudine sanctos detinet: Elle retient les
saints dans
leur plénitude, et les y fait persévérer jusqu'à
la fin, comme
nous avons vu. [173-182]
Voilà l'explication
de cette grande et ancienne figure de
la
prédestination et réprobation, si inconnue et si pleine de
mystères.
[4.] LES EFFETS
MERVEILLEUX QUE CETTE DEVOTION PRODUIT DANS
UNE AME QUI Y
EST FIDELE.
213. Mon cher
frère, soyez persuadé que si vous vous rendez
fidèle aux
pratiques intérieures, que je vous marquerai ci-
après: [226-256,
257-265]
[Connaissance
et mépris de soi-même]
1 Par la
lumière que le Saint-Esprit vous donnera par
Marie, sa
chère Epouse, vous connaîtrez votre mauvais fonds,
votre
corruption et votre incapacité à tout bien, si Dieu n'en
est le
principe comme auteur de la nature ou de la grâce, et,
en suite de
cette connaissance, vous vous mépriserez, vous ne
penserez à
vous qu'avec horreur. Vous vous regarderez comme un
limaçon qui
gâte tout de sa bave, ou comme un crapaud qui
empoisonne
tout de son venin, ou comme un serpent malicieux
qui ne cherche
qu'à tromper. Enfin l'humble Marie vous fera
part de sa
profonde humilité, qui fera que vous vous
mépriserez,
vous ne mépriserez personne et vous aimerez le
mépris.
[Participation à
la foi de Marie]
214. 2 La
Sainte Vierge vous donnera part à sa foi, qui a été
plus grande
sur la terre que la foi de tous les patriarches,
les prophètes,
les apôtres et tous les saints. Présentement
qu'elle est
régnante dans les cieux, elle n'a plus cette foi,
parce qu'elle
voit clairement toutes choses en Dieu, par la
lumière de la
gloire; mais cependant, avec l'agrément du Très-
Haut, elle ne
l'a pas perdue en entrant dans la gloire; elle
l'a gardée
pour la garder dans l'Eglise militante à ses plus
fidèles
seviteurs et servantes. Plus donc vous gagnerez la
bienveillance
de cette auguste Princesse et Vierge fidèle,
plus vous
aurez de pure foi dans toute votre conduite: une foi
pure, qui fera
que vous ne vous soucierez guère du sensible et
de l'extraordinaire;
une foi vive et animée par la charité,
qui fera que
vous ne ferez vos actions que par le motif du pur
amour; une foi
ferme et inébranlable comme un rocher, qui fera
que vous
demeurerez ferme et constant au milieu des orages et
des tourmentes;
une foi agissante et perçante, qui, comme un
mystérieux
passe-partout, vous donnera entrée dans les
mystères de
Jésus-Christ, dans les fins dernières de l'homme
et dans le
coeur de Dieu même; une foi courageuse, qui vous
fera
entreprendre et venir à bout de grandes choses pour Dieu
et le salut
des âmes, sans hésiter; enfin, une foi qui sera
votre flambeau
enflammé, votre vie divine, votre trésor caché
de la divine
Sagesse, et votre arme toute-puissante dont vous
vous servirez
pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres et
l'ombre de la
mort, pour embraser ceux qui sont tièdes et qui
ont besoin de
l'or embrasé de la charité, pour donner vie à
ceux qui sont
morts par le péché, pour toucher et renverser,
par vos
paroles douces et puissantes, les coeurs de marbre et
les cèdres du
Liban, et enfin pour résister au diable et à
tous les
ennemis du salut.
[Grâce du pur
amour]
215. 3 Cette
Mère de la belle dilection ôtera de votre coeur
tout scrupule
et toute crainte servile déréglée: elle
l'ouvrira et l'élargira
pour courir dans les commandements de
son Fils, avec
la sainte liberté des enfants de Dieu, et pour
y introduire
le pur amour, dont elle a le trésor; en sorte que
vous ne vous
conduirez plus, tant que vous avez fait, par
crainte à l'égard
de Dieu charité, mais par le pur amour. Vous
le regarderez
comme votre bon Père, auquel vous tâcherez de
plaire
incesamment, avec qui vous converserez confidemment,
comme un
enfant avec son bon père. Si vous venez, par malheur,
à l'offenser,
vous vous en humilierez aussitôt devant lui,
vous lui en
demanderez pardon humblement, vous lui tendrez la
main
simplement et vous vous en relèverez amoureusement, sans
trouble ni
inquiétude, et continuerez à marcher vers lui sans
découragement.
[Grande confiance
en Dieu et en Marie]
216. 4 La
Sainte Vierge vous remplira d'une grande confiance
en Dieu et en
elle-même: 1 parce que vous n'approcherez plus
de Jésus-Christ
par vous-même, mais toujours par cette bonne
Mère; 2 parce
que, lui ayant donné tous vos mérites, grâces
et
satisfactions, pour en disposer à sa volonté, elle vous
communiquera
ses vertus et elle vous revêtira de ses mérites,
en sorte que
vous pourrez dire à Dieu avec confiance: Voici
Marie votre
servante: qu'il me soit fait selon votre parole:
Ecce ancilla
Domini, fiat mihi secundum verbum tuum; 3 parce
que, vous
étant donné à elle tout entier, corps et âme, elle
qui est
libérale avec les libéraux et plus libérale que les
libéraux
mêmes, se donnera à vous par retour d'une manière
merveilleuse,
mais véritalble; en sorte que vous pourrez lui
dire hardiment:
Tuus sum ego, salvum me fac: Je suis à vous,
Sainte Vierge,
sauvez-moi; ou comme j'ai déjà dit, avec le
Disciple bien-aimé:
Accepi te in mea: Je vous ai prise, sainte
Mère, pour
tous mes biens. Vous pourrez encore dire, avec
saint
Bonaventure: Ecce Domina salvatrix mea, fiducialiter
agam, et non
timebo, quia fortitudo mea, et laus mea in Domino
es tu...; et
en un autre endroit: Tuus totus ego sum, et omnia
mea tua sunt,
o Virgo gloriosa, super omnia benedicta; ponam
te ut
signaculum super cor meum, quia fortis est ut mors
dilectio tua (S.
Bon. In psal. min. B.V.) Ma chère Maîtresse
et salvatrice,
j'agirai avec confiance et je ne craindrai
point, parce
que vous êtes ma force et ma louange dans le
Seigneur... Je
suis tout vôtre, et tout ce que j'ai vous
appartient; ô
glorieuse Vierge, bénite par-dessus toutes
choses
créées, que je vous mette comme un cachet sur mon
coeur, parce
que votre dilection est forte comme la mort! Vous
pourriez dire
à Dieu dans les sentiments du Prophète: Domine,
non est
exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei; neque
ambulavi in
magnis, neque in mirabilibus super me; si non
humiliter
sentiebam, sed exaltavi animam; sicut ablactatus
super matre
sua, ita retributio in anima mea: Seigneur, ni mon
coeur, ni mes
yeux n'ont aucun sujet de s'élever et de
s'enorgueillir,
ni de rechercher les choses grandes et
merveilleuses;
et, avec cela, je ne suis pas encore humble,
mais j'ai
relevé et encouragé mon âme par la confiance; je
suis comme un
enfant sevré des plaisirs de la terre et appuyé
sur le sein de
ma mère; et c'est sur ce sein qu'on me comble
de biens. 4 Ce
qui augmentera encore votre confiance en elle,
c'est que, lui
ayant donné en dépôt tout ce que vous avez de
bon pour le
donner ou le garder, vous aurez moins de confiance
en vous et
beaucoup plus en elle, qui est votre trésor. Oh!
quelle
confiance et quelle consolation pour une âme qui peut
dire que le
trésor de Dieu, où il a mis tout ce qu'il a de
plus précieux,
est le sien aussi! Ipsa est thesaurus Domini:
Elle est, dit
un saint, le trésor du Seigneur.
[Communication de
l'âme et de l'esprit de Marie]
217. 5 L'âme
de la Sainte Vierge se communiquera à vous pour
glorifier le
Seigneur; son esprit entrera en la place du vôtre
pour se
réjouir en Dieu, son salutaire, pourvu que vous vous
rendiez
fidèle aux pratiques de cette dévotion. Sit in
singulis anima
Mariae ut magnificet Dominum; sit in singulis
spiritus
Mariae ut exultet in Deo (S. Amb): Que l'âme de Marie
soit en chacun
pour y glorifier le Seigneur; que l'eprit de
Marie soit en
chacun, pour s'y réjouir en Dieu. Ah! quand
viendra cet
heureux temps, dit un saint homme de nos jours qui
était tout
perdu en Marie, ah! quand viendra cet heureux temps
où la divine
Marie sera établie maîtresse et souveraine dans
les coeurs,
pour les soumettre pleinement à l'empire de son
grand et
unique Jésus. Quand est-ce que les âmes respireront
autant Marie
que les corps respirent l'air? Pour lors, des
choses
merveilleuses arriveront dans ces bas lieux, où le
Saint-Esprit,
trouvant sa chère Epouse comme reproduite dans
les âmes, y
surviendra abondamment et les remplira de ses
dons, et
particulièrement du don de sa sagesse, pour opérer
des merveilles
de grâces. Mon cher frère, quand viendra ce
temps heureux
et ce siècle de Marie, où plusieurs âmes
choisies et
obtenues du Très-Haut par Marie, se perdant elles-
mêmes dans l'abîme
de son intérieur, deviendront des copies
vivantes de
Marie, pour aimer et glorifier Jésus-Christ? Ce
temps ne
viendra que quand on connaîtra et on pratiquera la
dévotion que
j'enseigne: Ut adveniat regnum tuum, adveniat
regnum Mariae.
[Transformation
des âmes en Marie à l'image de Jésus-Christ]
218. 6 Si
Marie, qui est l'arbre de vie, est bien cultivée en
votre âme par
la fidélité aux pratiques de cette dévotion,
elle portera
son fruit en son temps; et ce fruit n'est autre
que Jésus-Christ.
Je vois tant de dévots et dévotes qui
cherchent
Jésus-Christ, les uns par une voie et une pratique,
les autres par
l'autre; et souvent après qu'ils ont beaucoup
travaillé
pendant la nuit, ils peuvent dire: Per totam noctem
laborantes,
nihil cepimus: Quoique nous ayons travaillé
pendant toute
la nuit, nous n'avons rien pris. Et on peut leur
dire:
Laborastis multum, et intulistis parum: Vous avez
beaucoup
travaillé, et vous avez peu gagné. Jésus-Christ est
encore bien
faible chez vous. Mais par la voie immaculée de
Marie et cette
pratique divine que j'enseigne, on travaille
pendant le
jour, on travaille dans un lieu saint, on travaille
peu. Il n'y a
point de nuit en Marie, puisqu'il n'y a point eu
de péché ni
même la moindre ombre. Marie est un lieu saint, et
le Saint des
saints, où les saints sont formés et moulés.
219. Remarquez, s'il
vous plait, que je dis que les saints
sont moulés
en Marie. Il y a une grande différence entre faire
une figure en
relief, à coups de marteau et de ciseau, et
faire une
figure en la jetant en moule: les sculpteurs et
statuaires
travaillent beaucoup à faire les figures dans la
première
manière, et il leur faut beaucoup de temps; mais à
les faire dans
la seconnde manière, ils travaillent peu et les
font en fort
peu de temps. Saint Augustin appelle la Sainte
Vierge forma
Dei: le moule de Dieu: Si formam Dei te appellem,
digna existis:
le moule propre à former et mouler des dieux.
Celui qui est
jeté dans ce moule divin est bientôt formé en
Jésus-Christ,
et Jésus-Christ en lui: à peu de frais et en peu
de temps, il
deviendra dieu, puisqu'il est jeté dans le même
moule qui a
formé un Dieu.
220. Il me semble
que je puis fort bien comparer des
directeurs et
personnes dévotes qui veulent former Jésus-
Christ en soi
ou dans les autres par d'autres pratiques que
celle-ci, à
des sculpteurs qui, mettant leur confiance dans
leur savoir-faire,
leurs industries et leur art, donnent une
infinité de
coups de marteau et de ciseau à une pierre dure,
ou une pièce
de bois mal polie, pour en faire l'image de
Jésus-Christ;
et quelquefois ils ne réussissent pas à exprimer
Jésus-Christ
au naturel, soit faute de connaissance et
d'expérience
de la personne de Jésus-Christ, soit à cause de
quelque coup
mal donné, qui a gâté l'ouvrage. Mais, pour ceux
qui embrassent
ce secret de la grâce que je leur présente, je
les compare
avec raison à des fondeurs et mouleurs qui, ayant
trouvé le
beau moule de Marie, où Jésus-Christ a été
naturellement
et divinement formé, sans se fier à leur propre
industrie,
mais uniquement à la bonté du moule, se jettent et
se perdent en
Marie pour devenir le portrait au naturel de
Jésus-Christ.
221. O la belle et
véritable comparaison! Mais qui la
comprendra? Je
désire que ce soit vous, mon cher frère. Mais
souvenez-vous
qu'on ne jette en moule que ce qui est fondu et
liquide: c'est-à-dire
qu'il faut détruire et fondre en vous le
vieil Adam,
pour devenir le nouveau en Marie.
[La plus grande
gloire de Jésus-Christ]
222. 7 Par
cette pratique, bien fidèlement observée, vous
donnerez à
Jésus-Christ plus de gloire en un mois de temps que
par aucune
autre, quoique plus difficile, en plusieurs années.
- Voici les
raisons de ce que j'avance:
1 Parce que,
faisant vos actions par la Sainte Vierge,
comme cette
pratique enseigne, vous quittez vos propres
intentions et
opérations, quoique bonnes et connues, pour vous
perdre, pour
ainsi dire, dans celles de la Très Sainte Vierge,
quoiqu'elles
vous soient inconnues; et, par là, vous entrez en
participation
de la sublimité de ses intentions, qui ont été
si pures, qu'elle
a plus donné de gloire à Dieu par la moindre
de ses actions,
par exemple en filant sa quenouille, en
faisant un
point d'aiguille, qu'un saint Laurent sur son gril,
par son cruel
martyre, et même que tous les saints par leurs
actions les
plus héroïques: ce qui fait que, pendant son
séjour ici-bas,
elle a acquis un comble si ineffable de grâces
et de mérites,
qu'on compterait plutôt les étoiles du
firmament, les
gouttes d'eau de la mer et les sables du
rivage, que
ses mérites et ses grâces, et qu'elle a donné plus
de gloire à
Dieu que tous les anges et les saints ne lui ont
donné ni ne
lui en donneront. O prodige de Marie! vous n'êtes
capable que de
faire des prodiges de grâces dans les âmes qui
veulent bien
se perdre en vous.
223. 2 Parce qu'une
âme, par cette pratique, ne comptant pour
rien tout ce
qu'elle pense ou fait d'elle-même, et ne mettant
son appui et
sa complaisance que dans les dispositions de
Marie, pour
approcher de Jésus-Christ, et même pour lui
parler, elle
pratique beaucoup plus l'humilité que les âmes
qui agissent
par elles-mêmes, et qui ont un appui et une
complaisance
imperceptible dans leurs dispositions; et, par
conséquent,
elle glorifie plus hautement Dieu, qui n'est
parfaitement
glorifié que par les humbles et les petits de
coeur.
224. 3 Parce que
la Sainte Vierge, voulant bien, par une
grande
charité, recevoir en ses mains virginales le présent de
nos actions,
elle leur donne une beauté et un éclat admirable;
elle les offre
elle-même à Jésus-Christ, et sans difficulté,
que Notre-Seigneur
en est plus glorifié que si nous les
offrions par
nos mains criminelles. [146-149]
225. 4 Enfin,
parce que vous ne pensez jamais à Marie, que
Marie, en
votre place, ne pense à Dieu; vous ne louez ni
n'honorez
jamais Marie, que Marie avec vous ne loue et
n'honore Dieu.
Marie est toute relative à Dieu, et je
l'appellerais
fort bien la relation de Dieu, qui n'est que par
rapport à
Dieu, ou l'écho de Dieu, qui ne dit et ne répète que
Dieu. Si vous
dites Marie, elle dit Dieu. Sainte Elisabeth
loua Marie et
l'appela bienheureuse de ce qu'elle avait cru;
Marie, l'écho
fidèle de Dieu, entonna: Magnificat anima mea
Dominum: Mon
âme glorifie le Seigneur. Ce que Marie a fait en
cette occasion,
elle le fait tous les jours; quand on la loue,
on l'aime, on
l'honore ou on lui donne, Dieu est loué, Dieu
est aimé,
Dieu est honoré, on donne à Dieu par Marie et en
Marie.
[5.] PRATIQUES PARTICULIERES DE CETTE DEVOTION.
Pratiques Extérieures
226. Quoique l'essentiel
de cette dévotion consiste dans
l'intérieur,
elle ne laisse pas d'avoir plusieurs pratiques
extérieures
qu'il ne faut pas négliger: Haec oportuit facere
et illa non
omittere, soit parce que les pratiques extérieures
bien faites
aident les intérieures, soit parce qu'elles font
ressouvenir l'homme,
qui se conduit toujours par les sens, de
ce qu'il a
fait ou doit faire; soit parce qu'elles sont
propres à
édifier le prochain qui les voit, ce que ne font pas
celles qui
sont purement intérieures. Qu'aucun mondain donc,
ni critique,
ne mette ici le nez pour dire que la vraie
dévotion est
dans le coeur, qu'il faut éviter ce qui est
extérieur, qu'il
peut y avoir de la vanité, qu'il faut cacher
sa dévotion,
etc. Je leur réponds avec mon Maître: Que les
hommes voient
vos bonnes oeuvres, afin qu'ils glorifient votre
Père qui est
dans les cieux; non pas, dit saint Grégoire,
qu'on doive
faire ses actions et dévotions extérieures pour
plaire aux
hommes et en tirer quelque louange, ce serait
vanité; mais
on les fait quelquefois devant les hommes, dans
la vue de
plaire à Dieu et de le faire glorifier par là, sans
se soucier des
mépris ou des louanges des hommes.
Je ne
rapporterai qu'en abrégé quelques pratiques
extérieures,
que je n'appelle pas extérieures parce qu'on les
fait sans
intérieur, mais parce qu'elles ont quelque chose
d'extérieur,
pour les distinguer de celles qui sont purement
intérieures.
[Consécration
après exercices préparatoires]
227. Première
pratique. - Ceux et celles qui voudront entrer
en cette
dévotion particulière, qui n'est point érigée en
confrérie,
quoiqu'il le fût à souhaiter, après avoir, comme
j'ai [dit]
dans la première partie de cette préparation au
Règne de
Jésus-Christ, employé douze jours au moins à se vider
de l'esprit du
monde contraire à celui de Jésus-Christ,
emploieront
trois semaines à se remplir de Jésus-Christ par la
Très Sainte
Vierge. Voici l'ordre qu'ils pourront garder:
228. Pendant la
première semaine, ils emploieront toutes leurs
oraisons et
actions de piété à demander la connaissance d'eux-
mêmes et la
contrition de leurs péchés: et ils feront tout en
esprit d'humilité.
Pour cela, ils pourront, s'ils veulent,
méditer ce
que j'ai dit de notre mauvais fond et ne se
regarder, les
six jours de cette semaine, que comme des
escargots,
limaçons, crapauds, cochons et serpents et boucs;
ou bien ces
trois paroles de saint Bernard: Cogita quid
fueris, semen
putridum; quid sis, vas stercorum; quid futurus
sis, esca
vermium. Ils prieront Notre-Seigneur et son Saint-
Esprit de les
éclairer, par ces paroles: Domine, ut videam; ou
Noverim me; ou
Veni, Sancte Spiritus, et diront tous les jours
les litanies
du Saint-Esprit et l'oraison qui suit, marqués
dans la
première partie de cet ouvrage. Ils auront recours à
la Très
Sainte Vierge, et lui demanderont cette grande grâce
qui doit être
le fondement des autres, et pour cela ils diront
tous les jours,
l'Ave maris stella, et ses litanies.
229. Pendant la
seconde semaine, ils s'appliqueront dans
toutes leurs
oraisons et oeuvres de chaque journée, à
connaître la
Très Sainte Vierge. Ils demanderont cette
connaissance
au Saint-Esprit. Ils pourront lire et méditer ce
que nous en
avons dit. Ils réciteront, comme la première
semaine, les
litanies du Saint-Esprit et l'Ave maris Stella,
et, de plus,
un rosaire tous les jours, ou du moins un
chapelet, à
cette intention.
230. Ils
emploieront la troisième semaine à connaître Jésus-
Christ. Ils
pourront lire et méditer ce que nous en avons dit,
et dire l'oraison
de saint Augustin, qui est mis vers le
commencement
de cette seconde partie. [VD 67] Ils pourront,
avec le même
saint, dire et répéter cent et cent fois par
jour: Noverim
te: Seigneur, que je vous connaisse! ou bien,
Domine, ut
videam: Seigneur, que je voie qui vous êtes! Ils
réciteront,
comme aux autres semaines précédentes, les
litanies du
Saint-Esprit et l'Ave maris Stella, et ajouteront
tous les jours
les litanies [du Saint-Nom] de Jésus.
231. Au bout de
ces trois semaines, ils se confesseront et
communieront
à l'intention de se donner à Jésus-Christ, en
qualité d'esclaves
d'amour, par les mains de Marie. Et, après
la communion,
qu'ils tâcheront de faire selon la méthode qui
est ci-après,
ils réciteront la formule de leur consécration,
qu'ils
trouveront aussi ci-après; il faudra qu'ils l'écrivent
ou la fassent
écrire, si elle n'est imprimée, et qu'ils la
signent le
même jour qu'ils l'auront faite.
232. Il sera bon
que, ce jour, ils payent quelque tribut à
Jésus-Christ
et à sa sainte Mère, soit pour pénitence de leur
infidélité
passée aux voeux de leur baptême, soit pour
protester de
leur dépendance du domaine de Jésus et de Marie.
Or, ce tribut
sera selon la dévotion et la capacité d'un
chacun: comme
un jeûne, une mortification, une aumône, un
cierge; quand
ils ne donneraient qu'une épingle en hommage,
avec un bon
coeur, c'en est assez pour Jésus, qui ne regarde
que la bonne
volonté.
233. Tous les ans
au moins, le même jour, ils renouvelleront
la même
consécration, observant les mêmes pratiques pendant
trois semaines.
Ils pourront
même, tous les mois et tous les jours,
renouveler
tout ce qu'ils ont fait, par ce peu de paroles:
Tuus totus ego
sum, et omnia mea tua sunt: Je suis tout à
vous, et tout
ce que j'ai vous appartient, ô mon aimable
Jésus, par
Marie, votre sainte Mère.
[Récitation de la
petite couronne de la Sainte Vierge]
234. Deuxième
pratique. - Ils réciteront tous les jours de
leur vie, sans
pourtant aucune gêne, la petite couronne de la
Très Sainte
Vierge, composée de trois Pater et douze Ave, en
l'honneur des
douze privilèges et grandeurs de la Très Sainte
Vierge. Cette
pratique est fort ancienne et elle a son
fondement dans
l'Ecriture Sainte. Saint Jean vit une femme
couronnée de
douze étoiles, revêtue du soleil, et tenant la
lune sous ses
pieds, laquelle femme, selon les interprètes,
est la Très
Sainte Vierge.
235. Il y a
plusieurs manières de la bien dire qu'il serait
trop long de
rapporter: le Saint-Esprit les apprendra à ceux
et celles qui
seront les plus fidèles à cette dévotion.
Cependant,
pour la dire tout simplement, il faut d'abord dire:
Dignare me
laudare te, Virgo sacrata; da mihi virtutem contra
hostes tuos;
ensuite on dira le Credo, puis un Pater, puis
quatre Ave
Maria et un Gloria Patri; encore un Pater, quatre
Ave, un Gloria
Patri; ainsi du reste. A la fin, on dit: Sub
tuum
praesidium.
[Port de petites
chaînes de fer]
236.
Troisième pratique. - Il est très louable, et très
glorieux et
très utile à ceux et celles qui se seront ainsi
faits les
esclaves de Jésus en Marie, qu'ils portent pour
marque de leur
esclavage amoureux de petites chaînes de fer
bénites d'une
bénédiction propre qui est ci-après.
Ces marques
extérieures, à la vérité, ne sont pas
essentielles,
et une personne peut fort bien s'en passer,
quoiqu'elle
ait embrassé cette dévotion; cependant, je ne puis
m'empêcher de
louer beaucoup ceux et celles qui, après avoir
secoué les
chaînes honteuses de l'esclavage du diable, où le
péché
originel et peut-être les péchés actuels les avaient
engagés, se
sont volontairement mis sous le glorieux esclavage
de Jésus-Christ,
et se glorifient, avec saint Paul, d'être
dans les
chaînes pour Jésus-Christ, chaînes mille fois plus
glorieuses et
précieuses, quoique de fer et sans éclat, que
tous les
colliers d'or des empereurs.
237. Quoique
autrefois il n'y eût rien de plus infâme que la
croix, à
présent ce bois ne laisse pas d'être la chose la plus
glorieuse du
christianisme. Disons le même des fers de
l'esclavage.
Il n'y avait rien de plus ignominieux parmi les
anciens, et
même encore à présent parmi les païens; mais,
parmi les
chrétiens, il n'y a rien de plus illustre que les
chaînes de
Jésus-Christ, parce qu'elles nous délivrent et
préservent
des liens infâmes du péché et du démon; parce
qu'elles
mettent en liberté, et nous lient à Jésus-Christ et à
Marie, non pas
par contrainte et par force, comme des forçats,
mais par
charité et amour, comme des enfants: Traham eos in
vinculis
caritatis (Osée 4,11): je les attirerai à moi, dit
Dieu par la
bouche d'un prophète, par des chaînes de charité,
qui, par
conséquent, sont fortes comme la mort, et, en quelque
sorte, plus
fortes, en ceux qui seront fidèles à porter
jusqu'à la
mort ces marques glorieuses. Car, quoique la mort
détruise leur
corps en les réduisant en pourriture, elle ne
détruira
point les liens de leur esclavage, qui, étant de fer,
ne se
corrompent pas aisément; et peut-être qu'au jour de la
résurrection
des corps, au grand jugement dernier, ces
chaînes, qui
lieront encore leurs os, feront une partie de
leur gloire,
et seront changées en chaînes de lumière et de
gloire.
Heureux donc mille fois les esclaves illustres de
Jésus en
Marie, qui porteront leurs chaînes jusqu'au tombeau!
238. Voici les
raisons pourquoi on porte ces chaînettes:
Premièrement,
c'est pour faire ressouvenir le chrétien
des voeux et
engagements de son baptême, de la rénovation
parfaite qu'il
en a faite par cette dévotion, et de l'étroite
obligation où
il est de s'y rendre fidèle. Comme l'homme, qui
se conduit
souvent plus par les sens que par la pure foi,
s'oublie
facilement de ses obligations envers Dieu, s'il n'a
quelque chose
extérieur qui les lui remette en mémoire, ces
petites
chaînes servent merveilleusement au chrétien pour le
faire
ressouvenir des chaînes du péché et de l'esclavage du
démon, dont
le saint baptême l'a délivré, et de la dépendance
de Jésus-Christ
qu'il lui a vouée dans le saint baptême, et de
la
ratification qu'il en a faite par rénovation de ses voeux;
et une des
raisons pourquoi si peu de chrétiens pensent à
leurs voeux du
saint baptême, et vivent avec autant de
libertinage
que s'ils n'avaient rien promis à Dieu, comme les
païens, c'est
qu'ils ne portent aucune marque extérieure qui
les en fasse
ressouvenir.
239. Secondement,
c'est pour montrer qu'on ne rougit point de
l'esclavage et
servitude de Jésus-Christ, et qu'on renonce à
l'esclavage
funeste du monde, du péché et du démon.
Troisièmement,
c'est pour se garantir et préserver des
chaînes d'iniquité.
Car, ou il faut que nous portions des
chaînes d'iniquité,
ou des chaînes de charité et de salut:
Vincula
peccatorun; in vinculis charitatis.
240. Ah, mon cher
frère, brisons les chaînes des péchés et des
pécheurs, du
monde et des mondains, du diable et de ses
suppôts, et
rejetons loin de nous leur joug funeste:
Dirumpamus
vincula eorum et projiciamus a nobis jugum ipsorum.
Mettons nos
pieds, pour me servir des termes du Saint-Esprit,
dans ses fers
glorieux, et notre cou dans ses colliers: Injice
pedem tuum in
compedes illius, et in torques illius collum
tuum (Eccli,
27). Soumettons nos épaules, et portons la
Sagesse, qui
est Jésus-Christ, et ne nous ennuyons point de
ses chaînes:
Subjice humerum tuum et porta illam, et ne
accedieris
vinculis ejus (Eccli 6,25). Vous noterez que le
Saint-Esprit,
avant de dire ces paroles, y prépare l'âme, afin
qu'elle ne
rejette pas son conseil important. Voici ses
paroles: Audi,
fili, et accipe consilium intellectus, et ne
abjicias
consilium meum (Eccli 6): Ecoute mon fils, et reçois
un conseil d'entendement,
et ne rejette pas mon conseil.
241. Vous voulez
bien, mon très cher ami, que je m'unisse au
Saint-Esprit,
pour vous donner le même conseil: Vincula illius
aligatura
salutis (Eccli,6): ses chaînes sont des chaînes de
salut. Comme
Jésus-Christ en croix doit attirer tout à lui,
bon gré mal
gré, il attirera les réprouvés par les chaînes de
leurs péchés,
pour les enchaîner comme des forçats et des
diables à son
ire éternelle et à sa justice vengeresse; mais
il attirera,
particulièrement en ces derniers temps, les
prédestinés
par des chaînes de charité: Omnia traham ad
meipsum.
Traham eos in vinculis charitatis (Osée, 4).
242. Ces esclaves
amoureux de Jésus-Christ ou enchaînés de
Jésus-Christ,
vincti Christi, peuvent porter leurs chaînes, ou
à leur cou,
ou à leurs bras, ou autour de leurs reins, ou à
leurs pieds.
Le Père Vincent Caraffa, septième général de la
Compagnie de
Jésus, qui mourut en odeur de sainteté l'an 1643,
portait, pour
marque de sa servitude, un cercle de fer aux
pieds, et
disait que sa douleur était qu'il n'en pouvait pas
traîner
publiquement la chaîne. La Mère Agnès de Jésus, dont
nous avons
parlé, portait une chaîne de fer autour de ses
reins.
Quelques autres l'ont portée au cou, pour pénitence des
colliers de
perles qu'elles avaient portés dans le monde.
Quelques-uns l'ont
portée à leur bras, pour se faire souvenir,
dans les
travaux de leurs mains, qu'ils sont esclaves de
Jésus-Christ.
[Dévotion
spéciale au mystère de l'Incarnation]
243.
Quatrième pratique. - Ils auront une singulière dévotion
pour le grand
mystère de l'Incarnation du Verbe, le 25 de
mars, qui est
le propre mystère de cette dévotion, parce que
cette
dévotion a été inspirée du Saint-Esprit: 1. pour honorer
et imiter la
dépendance ineffable que Dieu le Fils a voulu
avoir de Marie,
pour la gloire de Dieu son Père et pour notre
salut,
laquelle dépendance paraît particulièrement dans ce
mystère où
Jésus-Christ est captif et esclave dans le sein de
la divine
Marie, et où il dépend d'elle pour toutes choses; 2.
pour remercier
Dieu des grâces incomparables qu'il a faites à
Marie et
particulièrement de l'avoir choisie pour sa très
digne Mère,
lequel choix a été fait dans ce mystère: ce sont
là les deux
principales fins de l'esclavage de Jésus en Marie.
244. Remarquez, s'il
vous plait, que je dis ordinairement:
l'esclave de
Jésus en Marie, l'esclavage de Jésus en Marie. On
peut, à la
vérité, comme plusieurs ont fait jusqu'ici, dire
l'esclave de
Marie, l'esclavage de la Sainte Vierge; mais je
crois qu'il
vaut mieux qu'on se dise l'esclave de Jésus en
Marie, comme
le conseilla Monsieur Tronson, supérieur général
du Séminaire
de Saint-Sulpice, renommé pour sa rare prudence
et sa piété
consommée, à un ecclésiastique qui le consultait
sur ce sujet:
En voici les raisons:
245. 1 Comme nous
sommes dans un siècle orgueilleux, où il y
a un grand
nombre de savants enflés, d'esprits forts et
critiques, qui
trouvent à redire dans les pratiques de piété
les mieux
établies et les plus solides, pour ne pas leur
donner une
occasion de critique sans nécessité, il vaut mieux
dire l'esclavage
de Jésus-Christ en Marie, et se dire
l'esclave de
Jésus-Christ que l'esclave de Marie; prenant la
dénomination
de cette dévotion, plutôt de sa fin dernière, qui
est Jésus-Christ,
que du chemin et du moyen pour arriver à
cette fin, qui
est Marie; quoiqu'on puisse, dans la vérité,
faire l'un et
l'autre sans scrupule, ainsi que je fais. Par
exemple, un
homme qui va d'Orléans à Tours, par le chemin
d'Amboise,
peut fort bien dire qu'il va à Amboise et qu'il va
à Tours; qu'il
est voyageur d'Amboise et voyageur de Tours;
avec cette
différence, cependant, qu'Amboise n'est que sa
route droite
pour aller à Tours, et que Tours seul est sa fin
dernière et
terme de son voyage.
246. 2 Comme le
principal mystère qu'on célèbre et qu'on
honore en
cette dévotion est le mystère de l'Incarnation, où
on ne peut
voir Jésus-Christ qu'en Marie, et incarné dans son
sein, il est
plus à propos de dire l'esclavage de Jésus en
Marie, de
Jésus résidant et règnant en Marie, selon cette
belle prière
de tant de grands hommes: O Jésus, vivant en
Marie, venez
et vivez en nous, en votre esprit de sainteté,
etc.
247. 3 Cette
manière de parler montre davantage l'union
intime qu'il
ya a entre Jésus et Marie. Ils sont unis si
intimement,
que l'un est tout dans l'autre: Jésus est tout en
Marie, et
Marie toute en Jésus; ou plutôt, elle n'est plus,
mais Jésus
tout seul en elle; et on séparerait plutôt la
lumière du
Soleil, que Marie de Jésus. En sorte qu'on peut
nommer Notre-Seigneur
Jésus de Marie, et la Sainte Vierge
Marie de
Jésus.
248. Le temps ne
me permettant pas de m'arrêter ici pour
expliquer les
excellences et les grandeurs du mystère de Jésus
vivant et
règnant en Marie, ou de l'Incarnation du Verbe, je
me contenterai
de dire en trois mots que c'est ici le premier
mystère de
Jésus-Christ, le plus caché, le plus relevé et le
moins connu;
que c'est en ce mystère que Jésus, de concert
avec Marie,
dans son sein, qui est pour cela appelé des saints
aula
sacramentorum, la salle des secrets de Dieu, a choisi
tous les élus;
que c'est en ce mystère qu'il a opéré tous les
mystères de
sa vie qui ont suivi, par l'acceptation qu'il en
fit: Jesus
ingrediens mundum dicit: Ecce venio ut faciam,
voluntatem
tuam etc.; et, par conséquent, que ce mystère est
un abrégé de
tous les mystères, qui renferme la volonté et la
grâce de tous;
enfin, que ce mystère est le trône de la
miséricorde,
de la libéralité et de la gloire de Dieu. Le
trône de sa
miséricorde pour nous, parce que, comme on ne peut
approcher de
Jésus que par Marie, on ne peut voir Jésus ni lui
parler que par
l'entremise de Marie. Jésus, qui exauce
toujours sa
chère Mère, y accorde toujours sa grâce et sa
miséricorde
aux pauvres pécheurs: Adeamus ergo cum fiducia ad
thronum
gratiae. C'est le trône de sa libéralité pour Marie,
parce que,
tandis que ce nouvel Adam a demeuré dans ce vrai
paradis
terrestre, il y a opéré tant de merveilles en cachette
que ni les
anges, ni les hommes ne les comprennent point;
c'est pourquoi
les saints appellent Marie la magnificence de
Dieu:
Magnificentia Dei, comme si Dieu n'était magnifique
qu'en Marie:
Solummodo ibi magnificus [est] Dominus. C'est le
trône de sa
gloire pour son Père, parce que c'est en Marie que
Jésus-Christ
a parfaitement calmé son Père, irrité contre les
hommes; qu'il
a parfaitement réparé la gloire que le péché lui
avait ravie,
et que, par le sacrifice qu'il y a fait de sa
volonté et de
lui-même, il lui a donné plus de gloire que
jamais ne lui
avaient donné tous les sacrifices de l'ancienne
loi, et enfin
qu'il lui a donné une gloire infinie, que
jamais il n'avait
encore reçue de l'homme.
[Grande dévotion
à l'Ave Maria et au chapelet]
249.
Cinquième pratique. - Ils auront une grande dévotion à
dire l'Ave
Maria, ou la Salutation angélique, dont peu de
chrétiens,
quoique éclairés, connaissent le prix, le mérite,
l'excellence
et la nécessité. Il a fallu que la Sainte Vierge
ait apparu
plusieurs fois à de grands saints fort éclairés
pour leur en
montrer le mérite, comme à saint Dominique, à
saint Jean de
Capistran, au bienheureux Alain de la Roche. Ils
ont composé
des livres entiers des merveilles et de l'efficace
de cette
prière pour convertir les pécheurs; ils ont publié
hautement, ils
ont prêché publiquement que le salut du monde
ayant
commencé par l'Ave Maria, le salut de chacun en
particulier
était attaché à cette prière; que c'est cette
prière qui a
fait porter à la terre sèche et stérile le fruit
de vie, et que
c'est cette même prière, bien dite, qui doit
faire germer
en nos âmes la parole de Dieu et porter le fruit
de vie, Jésus-Christ;
que l'Ave Maria est une rosée céleste
qui arrose la
terre, c'est-à-dire l'âme pour la faire porter
son fruit en
son temps; et qu'une âme qui n'est pas arrosée
par cette
prière ou rosée céleste ne porte point de fruit et
ne donne que
des ronces et des épines, et est prête d'être
maudite.
250. Voici ce que
la Très Sainte Vierge révéla au bienheureux
Alain de la
Roche, comme il est marqué dans son livre De
dignitate
Rosarii, et depuis par Cartagena: Sache, mon fils,
et fais-le
connaître à tous, qu'un signe probable et prochain
de la
damnation éternelle est d'avoir de l'aversion, de la
tiédeur et de
la négligence à dire la Salutation angélique,
qui a réparé
tout le monde: Scias enim et secure intelligas et
inde late
omnibus patefacias, quod videlicet signum probabile
est et
propinquum aeternae damnationis horrere et attediari ac
negligere
Salutationem angelicam, totius mundi reparativam (De
dignit., cap
11). Voilà des paroles bien consolantes et bien
terribles, qu'on
aurait peine à croire si nous n'en avions
pour garants
ce saint homme et saint Dominique devant lui, et
depuis
plusieurs grands personnages, avec l'expérience de
plusieurs
siècles. Car on a toujours remarqué que ceux qui
portent la
marque de la réprobation, comme tous les hérétiques
et impies,
orgueilleux et mondains, haïssent ou méprisent
l'Ave Maria et
le chapelet. Les hérétiques apprennent et
récitent
encore le Pater, mais non pas l'Ave Maria, ni le
chapelet; c'est
leur horreur: ils porteraient plutôt un
serpent sur
eux qu'un chapelet. Les orgueilleux aussi, quoique
catholiques,
comme ayant les mêmes inclinations que leur père
Lucifer,
méprisent ou n'ont que de l'indifférence pour l'Ave
Maria, et
regardent le chapelet comme un dévotion de
femmelette qui
n'est bonne que pour les ignorants et ceux qui
ne savent
point lire. Au contraire, on a vu, par expérience,
que ceux et
celles qui ont d'ailleurs de grandes marques de
prédestination
aiment, goûtent et récitent avec plaisir l'Ave
Maria; et que
plus ils sont à Dieu, et plus ils aiment cette
prière. C'est
ce que la Sainte Vierge dit aussi au bienheureux
Alain, en
suite des paroles que je viens de citer.
251. Je ne sais
pas comment cela se fait ni pourquoi, mais
cela est
pourtant vrai; et je n'ai pas un meilleur secret,
pour
connaître si une personne est de Dieu, que d'examiner si
elle aime à
dire l'Ave Maria et le chapelet. Je dis: elle
aime; car il
peut arriver qu'une [personne] soit dans
l'impossibilité
naturelle ou même surnaturelle de le dire,
mais elle l'aime
toujours et elle l'inspire aux autres.
252. AMES
PREDESTINEES, ESCLAVES DE JESUS EN MARIE, apprenez
que l'Ave
Maria est la plus belles de toutes les prières après
le Pater; c'est
le plus parfait compliment que vous puissiez
faire à Marie,
puisque c'est le compliment que le Très-Haut
lui envoya
faire par un archange pour gagner son coeur; et il
fut si
puissant sur son coeur, par les charmes secrets dont il
est plein, que
Marie donna son consentement à l'Incarnation du
Verbe, malgré
sa profonde humilité. C'est par ce compliment
aussi que vous
gagnerez infailliblement son coeur, si vous le
dites comme il
faut.
253. L'Ave Maria
bien dit, c'est-à-dire avec attention,
dévotion et
modestie, est, selon les saints, l'ennemi du
diable, qui le
met en fuite, et le marteau qui l'écrase, la
sanctification
de l'âme, la joie des anges, la mélodie des
prédestinés,
le cantique du Nouveau Testament, le plaisir de
Marie et la
gloire de la Très Sainte Trinité. L'Ave Maria est
une rosée
céleste qui rend l'âme féconde; c'est un baiser
chaste et
amoureux qu'on donne à Marie, c'est une rose
vermeille qu'on
lui présente, c'est une perle précieuse qu'on
lui offre, c'est
un coup d'ambroisie et de nectar divin qu'on
lui donne.
Toutes ces comparaisons sont des saints.
254. Je vous prie
donc instamment, par l'amour que je vous
porte en
Jésus et en Marie, de ne vous pas contenter de
réciter la
petite couronne de la Sainte Vierge, mais encore
votre chapelet,
et même, si vous en avez le temps, votre
rosaire, tous
les jours, et vous bénirez, à l'heure de votre
mort, le jour
et l'heure que vous m'avez cru; et, après avoir
semé dans les
bénédictions de Jésus et de Marie, vous
recueillerez
des bénédictions éternelles dans le ciel: Qui
seminat in
benedictionibus, de benedictionibus et metet. [2 Co
9,6]
[Récitation du
Magnificat]
255. Sixième
pratique. - Pour remercier Dieu des grâces qu'il
a faites à la
Très Sainte Vierge, ils diront souvent le
Magnificat, à
l'exemple de la bienheureuse Marie d'Oignies et
de plusieurs
autres saints. C'est la seule prière et le seul
ouvrage que la
Sainte Vierge ait composé, ou plutôt que Jésus
a fait en elle,
car il parlait par sa bouche. C'est le plus
grand
sacrifice de louange que Dieu ait reçu dans la loi de
grâce. C'est
d'un côté le plus humble et le plus
reconnaissant,
et de l'autre le plus sublime et le plus relevé
de tous les
cantiques: il y a dans ce cantique des mystères si
grands et si
cachés, que les anges en ignorent. Gerson, qui a
été un
docteur si pieux et si savant, après avoir employé une
grande partie
de sa vie à composer des traités si pleins
d'érudition
et de piété sur les matières les plus difficiles,
n'entreprit qu'en
tremblant, vers la fin de sa vie,
d'expliquer le
Magnificat, afin d'en couronner tous ses
ouvrages. Il
nous rapporte, dans un volume in-folio qu'il en a
composé,
plusieurs choses admirable du beau et divin cantique.
Entre autres
choses, il dit que la Très Sainte Vierege le
récitait
souvent elle-même, et particulièrement après la
Sainte
Communion, pour action de grâces. Le savant Benzonius,
en expliquant
le même Magnificat, rapporte plusieurs miracles
opérés par
sa vertu, et il dit que les diables tremblent et
s'enfuient
quand ils entendent ces paroles du Magnificat:
Fecit
potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente
cordis sui.
[Le mépris du
monde]
256. Septième
pratique. - Les fidèles serviteurs de Marie
doivent
beaucoup mépriser, haïr et fuir le monde corrompu, et
se servir des
pratiques de mépris du monde que nous avons
données dans
la première partie.
Pratiques
particulières et intérieures pour ceux qui veulent
devenir
parfaits.
257. Outre les
pratiques extérieures qu'on vient de rapporter,
lesquelles il
ne faut pas omettre par négligence ni mépris,
autant que l'état
et condition de chacun le permet, voici des
pratiques
intérieures bien sanctifiantes pour ceux que le
Saint-Esprit
appelle à une haute perfection.
C'est en
quatre mots, de faire toutes ses actions PAR
MARIE, AVEC
MARIE, EN MARIE et POUR MARIE, afin de les faire
plus
parfaitement par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en
Jésus et pour
Jésus.
[Faire toutes ses
actions par Marie]
258. 1 Il faut
faire ses actions par Marie, c'est-à-dire
qu'ils faut qu'ils
obéissent en toutes choses à la Très Sainte
Vierge, et qu'ils
se conduisent en toutes choses par son
esprit, qui
est le Saint-Esprit de Dieu. Ceux qui sont
conduits de l'esprit
de Dieu sont enfants de Dieu: Qui spiritu
Dei aguntur,
ii sunt filii Dei. Ceux qui sont conduits par
l'esprit de
Marie sont enfants de Marie, et, par conséquent,
enfants de
Dieu, comme nous avons montré, et parmi tant de
dévots à la
Sainte Vierge, il n'y a de vrais et fidèles dévots
que ceux qui
se conduisent par son esprit. J'ai dit que
l'esprit de
Marie était l'esprit de Dieu, parce qu'elle ne
s'est jamais
conduite par son propre esprit, mais toujours par
l'esprit de
Dieu, qui s'en est tellement rendu le maître qu'il
est devenu son
propre esprit. C'est pourquoi saint Ambroise
dit: Sit in
singulis, etc.: Que l'âme de Marie soit en chacun
pour glorifier
le Seigneur; que l'esprit de Marie soit en
chacun pour se
réjouir en Dieu. Qu'une âme est heureuse quand,
à l'exemple d'un
bon frère Jésuite, nommé Rodriguez, mort en
odeur de
sainteté, elle est toute possédée et gouvernée par
l'esprit de
Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et
prudent,
humble et courageux, pur et fécond!
259. Afin que l'âme
se laisse conduire par cet esprit de
Marie, il faut:
1 Renoncer à son propre esprit, à ses propres
lumières et
volontés avant de faire quelque chose: par
exemple, avant
de faire oraison, dire ou entendre la sainte
Messe,
communier, etc.; parce que les ténèbres de notre propre
esprit et la
malice de notre propre volonté et opération, si
nous les
suivons, quoiqu'elles nous paraissent bonnes,
mettraient
obstacle à l'esprit de Marie. 2 Il faut se livrer
à l'esprit de
Marie pour en être mus et conduits de la manière
qu'elle voudra.
Il faut se mettre et se laisser entre ses
mains
virginales, comme un instrument entre les mains de
l'ouvrier,
comme un luth entre les mains d'un bon joueur. Il
faut se perdre
et s'abandonner en elle, comme un pierre qu'on
jette dans la
mer: ce qui se fait simplement et en un instant,
par une seule
oeillade de l'esprit, par un petit mouvement de
la volonté,
ou verbalement, en disant, par exemple: Je renonce
à moi, je me
donne à vous, ma chère Mère. Et quoiqu'on ne
sente aucune
douceur sensible dans cet acte d'union, il ne
laisse pas d'être
véritable: tout comme si on disait ce qu'à
Dieu ne plaise:
Je me donne au diable, avec autant de
sincérité,
quoiqu'on le dît sans changement sensible, on n'en
serait pas
moins véritablement au diable. 3 Il faut, de temps
en temps,
pendant son action et après l'action, renouveler le
même acte d'offrande
et d'union; plus on le fera, et plus tôt
on se
sanctifiera, et plus tôt on arrivera à l'union à Jésus-
Christ, qui
suit toujours nécessairement l'union à Marie,
puisque l'esprit
de Marie est l'esprit de Jésus.
[Faire toutes ses
actions avec Marie]
260. 2 Il faut
faire ses actions avec Marie: c'est-à-dire
qu'il faut,
dans ses actions, regarder Marie comme un modèle
accompli de
toute vertu et perfection que le Saint-Esprit a
formé dans un
pure créature, pour imiter selon notre petite
portée. Il
faut donc qu'en chaque action nous regardions comme
Marie l'a
faite ou la ferait, si elle était en notre place.
Nous devons
pour cela examiner et méditer les grandes vertus
qu'elle a
pratiquées pendant sa vie, particulièrement: 1. sa
foi vie, par
laquelle elle a cru sans hésiter la parole de
l'ange; elle a
cru fidèlement et constamment jusqu'au pied de
la croix sur
le Calvaire; 2. son humilité profonde, qui l'a
fait se cacher,
se taire, se soumettre à tout et se mettre la
dernière; 3.
sa pureté toute divine, qui n'a jamais ni n'aura
jamais de
pareille sous le ciel, enfin toutes ses autres
vertus.
Qu'on se
souvienne, je le répète une deuxième fois, que
Marie est le
grand et l'unique moule de Dieu, propre à faire
des images
vivantes de Dieu, à peu de frais et en peu de
temps; et qu'une
âme qui a trouvé ce moule, et qui s'y perd,
est bientôt
changée en Jésus-Christ, que ce moule représente
au naturel.
[Faire toutes ses
actions en Marie]
261. 3 Il faut
faire ses actions en Marie.
Pour bien
comprendre cette pratique il faut savoir:
1 Que la Très
Sainte Vierge est le vrai paradis
terrestre du
nouvel Adam, et que l'ancien paradis terrestre
n'en était
que la figure. Il y a donc, dans ce paradis
terrestre, des
richesses, des beautés, des raretés et des
douceurs
inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a
laissées. C'est
en ce paradis qu'il a pris ses complaisances
pendant neuf
mois, qu'il a opéré ses merveilles et qu'il a
étalé ses
richesses avec la magnificence d'un Dieu. Ce très
saint lieu n'est
composé que d'une terre vierge et immaculée,
dont a été
formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache
ni souillure,
par l'opération du Saint-Esprit, qui y habite.
C'est en ce
paradis terrestre où est véritablement l'arbre de
vie qui a
porté Jésus-Christ, le fruit de vie; l'arbre de
science du
bien et du mal qui a donné la lumière au monde. Il
y a, en ce
lieu divin, des arbres plantés de la main de Dieu
et arrosés de
son onction divine, qui ont porté et portent
tous les jours
des fruits d'un goût divin; il y a des
parterres
émaillés de belles et différentes fleurs des vertus,
qui jettent
une odeur qui embaume même les anges. Il y a dans
ce lieu des
prairies vertes d'espérance, des tours imprenables
de force, des
maisons charmantes de confiance, etc. Il n'y a
que le Saint-Esprit
qui puisse faire connaître la vérité
cachée sous
ces figures de choses matérielles. Il y a encore
en ce lieu un
air pur, sans infection, de pureté; un beau
jour, sans
nuit, de l'humanité sainte; un beau soleil, sans
ombre, de la
Divinité; une fournaise ardente et continuelle de
charité, où
tout le fer qui [y] est mis est embrasé et changé
en or; il y a
un fleuve d'humilité qui sourd de la terre et
qui, se
divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu
enchanté; ce
sont les quatre vertus cardinales.
262. [2] Le Saint-Esprit,
par la bouche des saints Pères,
appelle aussi
la Sainte Vierge: 1. la porte orientale, par où
le grand
prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde; il y
est entré la
première fois par elle, et il viendra la seconde;
2. le
sanctuaire de la Divinité, le repos de la très Sainte
Trinité, le
trône de Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu,
le temple de
Dieu, le monde de Dieu. Toutes ces différentes
épithètes et
louanges sont très véritables, par rapport aux
différentes
merveilles de grâces que le Très-Haut a faites en
Marie. Oh!
quelles richesses! Oh! quelle gloire! Oh! quel
plaisir! Oh!
quel bonheur de pouvoir entrer et demeurer en
Marie, où le
Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprème!
263. Mais qu'il
est difficile à des pécheurs comme nous sommes
d'avoir la
permission et la capacité et la lumière pour entrer
dans un lieu
si haut et si saint, qui est gardé non par un
chérubin,
comme l'ancien paradis terrestre, mais par le Saint-
Esprit même
qui s'en est rendu le maître absolu, de laquelle
il dit: Hortus
conclusus soror mea sponsa, hortus conclusus,
fons signatus.
Marie est fermée; Marie est scellée; les
misérables
enfants d'Adam et d'Eve, chassés du paradis
terrestre, ne
peuvent entrer à celui-ci que par une grâce
particulière
du Saint-Esprit, qu'ils doivent mériter.
264. Après que,
par sa fidélité, on a obtenu cette insigne
grâce, il
faut demeurer dans le bel intérieur de Marie avec
complaisance,
s'y reposer en paix, s'y appuyer avec confiance,
s'y cacher
avec assurance et s'y perdre sans réserve, afin que
dans ce sein
virginal: 1. l'âme soit nourrie du lait de sa
grâce et de
sa miséricorde maternelle; 2. y soit délivrée de
ses troubles,
craintes et scrupules; 3. y soit en sûreté
contre tous
ses ennemis, le démon, le monde et le péché, qui
n'y ont jamais
eu entrée: c'est pourquoi elle dit que ceux qui
opèrent en
elle ne pècheront point: Qui operantur in me, non
peccabunt, c'est-à-dire
ceux qui demeurent en la Sainte Vierge
en esprit ne
feront point de péché considérable; 4. afin
qu'elle soit
formée en Jésus-Christ et que Jésus-Christ soit
formé en elle:
parce que son sein est, comme disent les Pères,
la salle des
sacrements divins, où Jésus-Christ et tous les
élus ont
été formés: Homo et homo natus est in ea.
[Faire toutes ses
actions pour Marie]
265. 4 Enfin
il faut faire toutes ses actions pour Marie,
Car, comme on
s'est tout livré à son service, il est juste
qu'on fasse
tout pour elle comme un valet, un serviteur et un
esclave; non
pas qu'on la prenne pour la dernière fin de ses
services, qui
est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin
prochaine et
son milieu mystérieux, et son moyen aisé pour
aller à lui.
Ainsi qu'un bon serviteur et esclave, il ne faut
pas demeurer
oisif; mais il faut, appuyé de sa protection,
entreprendre
et faire de grandes choses pour cette auguste
Souveraine. Il
faut défendre ses privilèges quand on les lui
dispute; il
faut soutenir sa gloire quand on l'attaque; il
faut attirer
tout le monde, si on peut, à son service et à
cette vraie et
solide dévotion; il faut parler et crier contre
ceux qui
abusent de sa dévotion pour outrager son Fils; il ne
faut
prétendre d'elle, pour récompense de ses petits services,
que l'honneur
d'appartenir à une si aimable Princesse, et le
bonheur d'être
par elle uni à Jésus, son Fils, d'un lien
indissoluble
dans le temps et l'éternité.
GLOIRE A JESUS
EN MARIE!
GLOIRE A MARIE
EN JESUS!
GLOIRE A DIEU
SEUL!
[SUPPLEMENT]
MANIERE DE
PRATIQUER CETTE DEVOTION
DANS LA SAINTE
COMMUNION
AVANT LA COMMUNION
266. 1 Vous vous
humilierez profondément devant Dieu. 2 Vous
renoncerez à
votre fond tout corrompu et à vos dispositions,
quelques
bonnes que votre amour-propre vous les fasse voir. 3
Vous
renouvellerez votre consécration en disant: Tuus totus
ego sum, et
omnia mea tua sunt: Je suis tout à vous ma chère
Maîtresse,
avec tout ce que j'ai. 4 Vous supplierez cette
bonne Mère de
vous prêter son coeur, pour y recevoir son Fils
dans ses
mêmes dispositions. Vous lui représenterez qu'il y va
de la gloire
de son Fils de n'être pas mis dans un coeur aussi
souillé que
le vôtre et aussi inconstant, qui ne manquerait
pas de lui
ôter de sa gloire ou de le perdre; mais si elle
veut venir
habiter chez vous pour recevoir son Fils, elle le
peut par le
domaine qu'elle a sur les coeurs; et que son Fils
sera par elle
bien reçu sans souillure et sans danger d'être
outragé ni
perdu: Deus in medio ejus non commovebitur. Vous
lui direz
confidemment que tout ce que vous lui avez donné de
votre bien est
peu de chose pour l'honorer, mais que, par la
sainte
communion, vous voulez lui faire le même présent que le
Père éternel
lui a fait, et qu'elle en sera plus honorée que
si vous lui
donniez tous les biens du monde; et qu'enfin
Jésus, qui l'aime
uniquement, désire encore prendre en elle sa
complaisance
et son repos, quoique dans votre âme plus sale et
plus pauvre
que l'étable, où Jésus ne fit pas difficulté de
venir parce qu'elle
y était. Vous lui demanderez son coeur par
ces tendres
paroles: Accipio te in mea omnia. Praebe mihi cor
tuum, o Maria!
DANS LA COMMUNION
267. 2 Prêt de
recevoir Jésus-Christ, après le Pater, vous
lui direz
trois fois: Domine, non sum dignus, etc., comme si
vous disiez,
la première fois, au Père éternel, que vous
n'êtes pas
digne, à cause de vos mauvaises pensées et
ingratitudes
à l'égard d'un si bon Père, de recevoir son Fils
unique, mais
que voici Marie, sa servante: Ecce ancilla
Domini, qui
fait pour vous, et qui vous donne une confiance et
espérance
singulière auprès de sa Majesté: Quoniam
singulariter
in spe constituisti me.
268. Vous direz au
Fils: Domine, non sum dignus, etc., que
vous n'êtes
pas digne de le recevoir à cause de vos paroles
inutiles et
mauvaises et votre infidélité en son service; mais
cependant que
vous le priez d'avoir pitié de vous parce que
vous l'introduirez
dans la maison de sa propre Mère et de la
vôtre, et que
vous ne le laisserez point aller qu'il ne soit
venu loger
chez elle: Tenui eum, nec dimittam, donec
introducam
illum in domum matris meae, et in cubiculum
genitrix meae
(Cant 3,4). Vous le prierez de se lever et de
venir dans le
lieu de son repos et dans l'arche de sa
sanctification:
Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca
santificationis
tuae. [Vous lui direz] que vous ne mettez
aucunement
votre confiance dans vos mérites, votre force et
vos
préparations, comme Esaü, mais dans celles de Marie, votre
chère Mère,
comme le petit Jacob dans les soins de Rébecca;
que, tout
pécheur et Esaü que vous êtes, vous osez vous
approcher de
sa sainteté, appuyé et orné des mérites et vertus
de sa sainte
Mère.
269. Vous direz au
Saint-Esprit: Domine, non sum dignus, que
vous n'êtes
pas digne de recevoir le chef-d'oeuvre de sa
charité, à
cause de la tiédeur et iniquité de vos actions et
de vos
résistances à ses inspirations, mais que toute votre
confiance est
Marie, sa fidèle Epouse; et dites avec saint
Bernard: Haec
maxima mea fiducia; haec tota ratio spei meae.
Vous pourrez
même le prier de survenir encore en Marie, son
Epouse
indissoluble; que son sein est aussi pur et son coeur
aussi embrasé
que jamais; et que sans sa descente dans votre
âme, ni
Jésus ni Marie n'y seront point formés, ni dignement
logés.
APRS LA COMMUNION
270. Après la
sainte communion, étant intérieurement
recueilli, et
les yeux fermés, vous introduirez Jésus-Christ
dans le coeur
de Marie. Vous le donnerez à sa Mère, qui le
recevra
amoureusement, le placera honorablement, l'adorera
profondément,
l'aimera parfaitement, l'embrassera étroitement,
et lui rendra,
en esprit et en vérité, plusieurs devoirs qui
nous sont
inconnus dans nos ténèbres épaisses.
271. Ou bien vous
vous tiendrez profondément humilié dans
votre coeur,
en la présence de Jésus résidant en Marie. Ou
vous vous
tiendrez comme un esclave à la porte du palais du
Roi, où il
est à parler à la Reine; et tandis qu'ils se
parlent l'un
à l'autre, sans avoir besoin de vous, vous irez
en esprit au
ciel et par toute la terre, prier les créatures
de remercier,
adorer et aimer Jésus et Marie en votre place:
Venite,
adoremus, venite, etc.
272. Ou bien, vous
demanderez vous-même à Jésus en union de
Marie, l'avènement
de son règne sur la terre par sa sainte
Mère, ou la
divine sagesse, ou l'amour divin, ou le pardon de
vos péchés,
ou quelque autre grâce, mais toujours par Marie et
en Marie;
disant en vous regardant de travers: Ne respicias,
Domine,
peccata mea. Seigneur, ne regardez pas mes péchés; sed
oculi tui
videant aequitates Mariae: mais que vos yeux ne
regardent en
moi que les vertus et mérites de Marie. Et en
vous souvenant
de vos péchés, vous ajouterez: Inimicus homo
hoc fecit: C'est
moi, qui suis le plus [grand] ennemi que j'ai
sur les bras,
qui ai fait ces péchés; ou bien: Ab homine
iniquo et
doloso erue me, ou bien: Te oportet crescere, me
autem minui:
Mon Jésus, il faut que vous croissiez dans mon
âme et que je
décroisse. Marie, il faut que vous croissiez
chez moi, et
que je sois moins que je n'ai été. Crescite et
multiplicamini:
O Jésus et Marie, croissez en moi, et
multipliez-vous
au dehors dans les autres.
273. Il y a une
infinité d'autres pensées que le Saint-Esprit
fournit, et
vous fournira si vous êtes bien intérieur,
mortifié et
fidèle à cette grande et sublime dévotion que je
viens de vous
enseigner. Mais souvenez-vous que plus vous
laisserez agir
Marie dans votre communion, et plus Jésus sera
glorifié; et
vous laisserez plus agir Marie pour Jésus, et
Jésus en
Marie, que vous vous humilierez plus profondément et
vous les
écouterez avec paix et silence, sans vous mettre en
peine de voir,
goûter, ni sentir; car le juste vit partout de
la foi, et
particulièrement dans la sainte communion, qui est
une action de
foi: Justus meus ex fide vivit.